La révolution verte, recyclage cynique et aberrant des industries chimiques qui firent fortune pendant les deux guerres mondiales ? La thèse de Coline Serreau, énoncée dès l’entame de son documentaire, n’est pas neuve, pas spécialement un scoop non plus. De quoi donner au spectateur l’angoisse d’une compilation de lieux communs débités face caméscope par une brochette de vieux mangeurs de carottes ; angoisse à laquelle s’ajoute la terreur inspirée par l’état de forme de la « cinéaste de la Crise » (l’épouvantable triptyque Belle verte, Chaos, Vingt ans après). Seulement voilà, Solutions locales pour un désordre global, simili reportage télé bourré d’infos et d’efforts pédagogiques, affiche un net regain de forme. Mieux que cela même, il faut en déduire que le genre documentaire sied dix fois mieux à la nature pragmatique de Coline Serreau que les grosses métaphores sociétales qui firent son succès.
Trois mouvements favoris du documentaire engagé se succèdent ici : un tour de table, façon teaser M6, sans les roulements de tambour ni la tentation people (José Bové n’est ni interviewé, ni cité), sur une pléiade d’écolos et de penseurs bios. Puis les hommes troncs descendent dans les champs sinistrés de la Beauce ou les néo paradis altermondialistes d’Inde et du Brésil. Enfin les fameuses solutions locales, espoirs d’un monde meilleur présentés avec un sérieux si scientifique qu’on voit presque les sueurs froides couler dans le dos de la cinéaste, horrifiée par la crainte de sombrer dans le ravissement béat ou le lyrisme croupi et pré-maché d’un Besançenot.
Pour aller vite, on dira que l’intention consiste à vulgariser sans simplifier. Soit viser le même objectif qu’un Michael Moore (faire la révolution depuis les salles) avec d’autres armes. Alors que le gourou à casquette vampirise son sujet tant qu’il peut, Serreau s’efface, dégraissant son enquête du moindre effet spectaculaire. Pas de voix off, ni de pathos, à peine une image choc : les interlocuteurs prennent en charge le sujet, mutant en petits conteurs enthousiasmés par leur mission. Plus le film va, et plus ils se lâchent, heureux de convaincre, de discuter, de faire savoir, montrant ici une terre brûlée par les engrais, exhumant là de vieux grimoires recensant des centaines d’espèces de pommes éradiquées par les géants de l’agronomie mondialisée. Engrenage mafieux des industries chimiques, paupérisation des cultures mondiales, sexualisation d’un monde dominé par le machisme économique (la terre symboliquement violée par le labour des paysans, belle image), le film se déroule comme une pelote, régi par l’obsession délicate d’affiner chaque pensée. Tout se base sur la richesse d’une parole donnée, le prestige d’un interlocuteur discrètement admiré. Sommet, le petit couple de spécialistes du sol présentés comme une espèce en voie d’extinction autant que les garants de la révolution écologiste espérée par la cinéaste : truculents, modestes et savants.