En nommant son jeu Dragon age, Bioware fait appel à une époque révolue, les années 90, l’âge d’or du RPG narratif sur PC, genre qui avait connu son apogée en 2000 avec Baldur’s gate 2, avant d’être profondément modifié par la transition vers le développement sur console. Publier en 2009 un jeu de rôle solo pensé pour le PC, avec un budget conséquent, et un respect méticuleux des recettes du genre, beaucoup de fan service, malgré les états de service de Bioware, risque de paraître complètement hors sujet. Dragon age : Origins ne plaira pas à tout le monde. S’inscrivant totalement dans un genre, il en expose les béances autant qu’il en rappelle les plus belles heures. Il n’en n’est pas moins monumental, jalon essentiel du RPG occidental, plus que nul autre jeu Bioware depuis bien longtemps. Pour qui sait profiter de l’oeuvre telle qu’elle se donne, DA : O tient du miracle, il ébahit par sa densité, sa générosité, son exigence.
Dragon age : Origins n’est pas original, c’est un RPG érudit. Les développeurs, ludovores, ont beaucoup joué, beaucoup observé ce qui se faisait de mieux dans le genre ces dernières années, pour en offrir une synthèse. Bioware a évidemment plongé dans sa longue histoire. Outre la filiation évidente avec Baldur’s gate, Dragon age : Origins reprend la structure de Kotor, avec la liberté – toute relative – de choisir l’ordre dans lequel aborder les différents lieux de l’aventure. Mais le jeu emprunte aussi aux MMO leurs synergies de groupe, les cooldowns à la World of Warcraft, et surtout la manière de gérer une horde d’adversaire qu’il s’agit de contrôler pour l’éliminer efficacement. Les combats en temps réel, les équipiers programmables et les donjons qui osent la longueur rappellent fortement Final fantasy XII, d’autres aspects font penser à The Witcher…
Cette logique du florilège est aussi présente dans la narration, elle fait partie intégrante de la méthode Bioware. Mass effect se voulait un pot-pourri de la SF des années 70-80. Dragon age : Origins va quant à lui chercher une fantasy plus contemporaine, s’inspirant pour part de la version jacksonienne du Seigneur des Anneaux, mais piochant surtout ses intrigues politiques chez George R.R. Martin (Le Trône de fer), ou encore piquant à la dark fantasy de The Witcher ses elfes parias. Certes, on peut regretter le côté baroque des Royaumes oubliés de Baldur’s gate, et considérer que le jeu, à force de travailler les nuances de gris, se prend parfois les pieds dans son sérieux, tout en offrant de la « politique » une vision de roman-feuilleton. Mais ne boudons pas notre plaisir. L’aspect générique de l’univers permet de trouver immédiatement ses repères, et un énorme travail de contextualisation a été fait : l’objectif de Bioware est de créer une licence, et pour cela de donner au monde, faute d’originalité, un luxe de détails. Sans révolutionner un genre bien encombré, certains motifs sont exploités de manière intéressante, comme la place des mages dans la société, ou les inégalités chez les nains… Enfin, c’est surtout dans les dialogues que les scénaristes montrent tout leur talent. Certes, il faut oublier la mise en scène cinématographique qui constituait la principale avancée de Mass effect. Contrairement à Shepard, le personnage principal n’est pas doublé, et les échanges en sont bien plus désincarnés. Mais les compagnons ont gagné en personnalité. Ainsi, le premier d’entre eux, Alistair, qui au premier abord a tout du fade chevalier blondinet, prend à mesure qu’on fait sa connaissance une réelle consistance. Que ce soit par le biais de ses incessantes chamailleries avec les autres membres de l’équipe, ou encore par son autodérision, le personnage s’anime et devient réellement attachant. Dans l’efficacité des répliques, dans le progressif dévoilement des caractères, Dragon age fait appel aux techniques qui ont contribué à hisser au sommet les séries télé US des années 2000.
Non que l’expérience soit exempte de défauts.Le plus criant étant le réglage de la difficulté. En normal, Dragon age : Origins est un jeu qui demande du joueur une certaine rigueur, et c’est tout à fait louable. Cependant, selon la classe de personnage choisie et la composition de l’équipe, il est tout à fait possible de rencontrer, notamment dans les premières heures du jeu, des pics de difficulté très désagréables. C’est une des conséquences de la liberté offerte au joueur, et tous les jeux du genre sont victimes de ce problème : l’expérience peut varier selon les choix effectués. Bioware aurait pu guider de manière plus explicite le néophyte. Lui signaler, par exemple qu’il est bien plus facile de débuter avec un mage, et qu’en tout cas la présence d’un soigneur dans le groupe s’impose assez rapidement (ce qui implique, sans en dire plus long, qu’il est recommandable de visiter rapidement le cercle des mages). Par la suite, des pouvoirs déséquilibrés inversent la tendance, et risquent, dans certains cas, de rendre le jeu bien trop facile, et de rendre les combats totalement répétitifs. Il y a en effet de quoi se fâcher ; ces problèmes peuvent néanmoins être évités pour peu que le joueur se prête au jeu.
Et celui-ci en vaut la chandelle. En son coeur, évidemment, le système de combat, qui affrontement après affrontement, fait preuve d’une redoutable efficacité, se payant, malgré ses défauts, le luxe de nous surprendre même après 50 heures de jeu. Les aventuriers passeront beaucoup de temps dans de donjons gigantesques, et Bioware a pris soin de limiter au maximum les combats gagnés d’avance. La plupart du temps, il faudra réfléchir un minimum, à tout le moins prendre garde au positionnement des ennemis pour sortir vainqueur. Régulièrement, une rencontre scriptée propose une situation originale qui demande au joueur d’adapter sa stratégie, que ce soit pour aller clouer le bec à un mage qui bombarde l’équipe de boule de feu, pour occuper un groupe d’archers tandis que le guerrier hache menu les troupes de mêlée, ou encore pour bloquer l’arrivée de renforts avec un sort de zone… Pour peu que le joueur varie un peu ses méthodes, le système est à la fois simple et gratifiant, confère une impression de puissance en ouvrant une multitude de choix tactiques, tout en gardant un niveau d’exigence conséquent. Sensation grisante de contrôle, grâce à une interface efficace, Dragon age : Origins comble une frustration du joueur de MMO mécontent de ses partenaires ; outre la possibilité de régler l’IA des compagnons, il est tout à fait possible, et souvent recommandé, de gérer le moindre déplacement, de s’assurer que le soigneur fait son travail, que le tank assomme les bons adversaires, que le mage ne vagabonde pas… A vrai dire, on songe souvent à un World of Warcraft simplifié pour les maniaques du contrôle, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Les boss manquent sans doute un peu d’originalité, les ennemis de variété, mais même Bioware n’a pas un budget illimité, et il faut bien avouer que lorsqu’il s’agit d’affronter un vrai dragon pour la première fois, la taille, la présence de la bête ont de quoi faire trembler le joueur. De tels moments de pure fascination ne sont pas rares dans Dragon age : Origins.
Réalisation complète d’un programme qui tient pourtant de la gageure : actualiser technologiquement et ludiquement les plus complets fantasmes du RPG des années 90, Dragon age : Origins est une des propositions ludiques les plus fortes de l’année 2009. Fidèle à une longue tradition, il ferme peut-être autant de portes qu’il n’en ouvre. Malgré tout, le jeu de Bioware fixe pour le RPG un nouvel étalon en termes d’écriture, de contenu, de production, à côté de titres séminaux comme Fallout 3 ou Final fantasy XII. Les nostalgiques auront beau dire, la vivacité du genre, qui après un passage à vide au début des années 2000 a produit beaucoup de grands jeux ces dernières années, a tout pour plaire. Les glorieux ancêtres ont trouvé leur relève, et en guise de Baldur‘s gate 3, on aurait pu beaucoup plus mal tomber : Dragon age : Origins est tout simplement un grand jeu, au souffle épique.