Le nouveau film de Jaco Van Dormael, loin de la sensiblerie triso du Huitième jour, est d’abord une œuvre mathématique. Construit en abscisses et en ordonnées, il livre sa théorie du Chaos : un petit garçon se trouve sur un quai de gare, il doit choisir entre son père ou sa mère le temps d’un train qui arrive et repart. De sa décision découleront des actes, des faits, des histoires différentes, qu’un montage savant nous fait suivre en simultané. Et c’est parti pour une équation à trois inconnues, Elisa (Sarah Polley), Anna (Diane Kruger) et Jeanne (Linh-Dan Pham), autant de femmes qui vont bouleverser la vie, les vies, de notre héros devenu grand. Il s’appelle Nemo. Nemo Nobody. Et le plus grand mérite de ses interprètes, le prometteur Toby Regbo (Nemo ado) et Jared Leto (Nemo adulte), est de nous faire illico oublier le poisson clown de Pixar. On n’est pas là pour rigoler, ce film est un concept, un système dynamique, normalement déterminé, qui se trouve contesté ici par une chose simple, instable par essence : le destin.
La philosophie déterministe revisitée par Van Dormael… Ça pourrait sentir le fumage de rideaux, et pourtant on s’accroche. Le film veut dire, raconte avec style (parfois trop : les ralentis sur les Gymnopédies de Satie, les scènes du monde futur à l’esthétique pub pour Pampers…), et l’intention – le cinéma en manque souvent – mérite l’attention. Même si, encore une fois et tout du long, on veut résister, refuser les effets d’hypnose car Van Dormael, inventif et bluffeur, sait agiter ses images comme un pendule.
Bien sûr, il est toujours possible de lui reprocher sa tendance « shaker » : quelques miettes philosophiques (le libre choix de Descartes préféré au nécessitarisme de Spinoza), une bonne cuillerée d’effet papillon (pompage des théories du météorologue Edward Lorenz), et surtout un zeste de Michael Gondry qui avec son Eternal sunshine of the spotless mind avait déjà posé les bases d’un cinéma ayant le pouvoir de rendre la vie réversible. Et quand, le spectateur-Minotaure s’épuise dans les dédales du film, montre du découragement devant ce labyrinthe narratif, Jaco Van Dormael sait le rattraper, le relancer. Mais au fond, qui a vraiment envie de trouver la « sortie » ?