Il ne faut pas bien longtemps à qui aurait pratiqué en 2008 King’s bounty : The Legend pour prendre ses repères dans cette suite qui tient plus de l’extension : au bout de deux ou trois minutes, la mémoire musculaire se met en branle, les circuits neuronaux entrent en mode pavlovien, et le bountymane retrouve ses réflexes de crevard du loot, de junkie du PX. Ainsi le critique qui voulait voir si la came est toujours aussi bonne s’en mettra bien vingt heures dans la tronche, juste pour être sûr.
Evacuons tout de suite la question des innovations proposées par Armored princess. Il n’y en n’a que fort peu ; le scénario – oubliable – et les décors -d’opérette- ont changé, l’interface a été subtilement améliorée, les mécanismes légèrement rééquilibrés, petits détails appréciables pour le consommateur, mais rien de bouleversant. D’autant plus que le jeu recycle de bon cœur adversaires et musique, au point de donner une forte impression de déjà vu. A dire vrai, King’s bounty: The Legend était par lui-même imposant, à la limite de l’indigeste : après quarante heures de fascination, on ne sentait pas vraiment la fin venir, et on avait abandonné la fouille obsessionnelle des moindres recoins d’une carte gargantuesque qui n’en finissait pas. Le développeur, Katauri, est basé à Vladivostok, où les hivers sont d’une extrême longueur, et il faut bien s’occuper entre deux cuites à la vodka. La série King’s bounty a pour cœur de cible le trentenaire chômeur et célibataire qui passe ses nuits à fumer de l’herbe en caleçon devant son PC. Sa seule utilité sociale serait de servir de méthadone à World of Warcraft. Ainsi, peut-être est-il plus sain pour le joueur qui aurait arpenté le premier épisode de ne pas s’attaquer à une suite dispensable puisque très redondante. Oui, mais Chronic’art n’avait pas donné à King’s bounty : The Legend, classique immédiat du stoner-game, la place qui est la sienne, et le lecteur qui voudrait s’encanailler en passant quelques dizaines d’heures, pas très bien rasé, en boxer devant son écran, pourrait faire pire que de se pencher sur cette princesse en bikini de plates, qui offre un concentré de la formule.
Il faut en effet rendre au roi les hommages qui lui sont dus. Mais commençons par lui tirer le portrait. L’héroïne, la bien en jambes Amélie, se promène en temps réel sur les routes tortueuses d’un royaume fantaisiste en carton-pâte. Elle rencontre des bandes de monstres, auxquels elle oppose sa propre armée, troupe de mercenaires piqués dans la boîte à jouet d’un collectionneur de clichés : zombies bubonneux, griffons au port noble, chevaliers rutilants. Ca bastonne sec au tour par tour. Imaginez un Heroes of might & magic sans l’aspect stratégique, avec un seul héros, mais avec plus de breloques à collecter, vous ne serez pas loin du compte. Rien de plus normal, Katauri a déterré l’ancêtre de la série, le King’s Bounty de 1991 pour lui faire un bâtard en 2008. On pourrait crier à l’absence de génie, se plaindre du temps perdu, du manque de profondeur tactique, mais ce serait un abominable crime de lèse-majesté.
Et comme son grand frère, la princesse en armure a la majesté impérieuse, et sait se faire obéir du joueur en maniant à bon escient le bâton et (surtout) la carotte. Un peu partout sur la carte traînent, ingénument placés là, sans doute au petit bonheur, trésors, récompenses, fanions, pièces d’expérience, coffres à bibelots, baraques à monstres. Et autant le dire, il faut IMPERIEUSEMENT, et il s’agit de peser les mots, IMPERIEUSEMENT, question de vie ou de mort, on ne plaisante pas avec ça, il faut positivement, rigoureusement, au prix d’un rein de notre premier né, peu importe, il est nécessaire au joueur d’aller jusqu’au prochain brimborion brillant qui luit en haut à gauche de l’écran. C’est l’affaire de deux minutes d’ailleurs. Trois tout au plus. De toute façon il est deux heures du matin, que font quatre ou cinq minutes de plus ? UN combat, rien qu’UN. D’ailleurs, le coffret convoité est proprement irrésistible. Il brille à en aveugler. Il est sans doute d’une douceur ineffable. Il est juste là, mon trésor, il contient évidemment la pierre philosophale, mon trésor. Si ce n’est lui, ce sera le prochain. De toutes façons, le réveil sonne dans vingt minutes, à quoi bon se coucher, à quoi bon ?
Si flirter avec l’obsession la plus débridée ne vous fait pas peur, Armored princess est sans doute ce qui se fait de plus séduisant dans le genre. On s’étonnerait presque de la force d’attraction indécente qu’ avec si peu de moyens produit le jeu de Katauri : presque pas d’histoire, un peu d’exploration, beaucoup de combats et de loots suffisent à nous transformer en rats de laboratoire, courant dans les tunnels pour amasser des bouts de fromage. Au bout de la souris, le devenir-rat. La simplicité des mécanismes nous renseigne sans doute avant tout sur nos fascinations de consommateurs, que les développeurs manipulent avec un art consommé. Il n’est pas exclu que, comme tous les grands jeux obsessionnels, Armored princess soit un fidèle reflet de son époque.