Avec ses choix arbitraires et évidents à la fois, c’est bien un vrai best-of, cet objet commercial archaïque, que cette « Kompilation », qui applique au projet Plastikman un ratatinage hors de propos. De ce qui a représenté des années durant une esthétique de la durée, de l’immersion et de la transe, on nous présente aujourd’hui la pénible contradiction, au prétexte d’une leçon d’histoire pour les jeunes. Mais les jeunes ne savent-ils pas déjà trouver ce qu’ils veulent (singles ou discographie intégrale), comme ils le veulent (légalement ou illégalement) ? En attendant la rétrospective (14 CD + DVD) déjà prévue pour Noël, et qui devrait balayer notre frustration, pourquoi ne pas avoir préféré de pures et simples rééditions ?
Quoiqu’il en soit, alors qu’on se félicitait encore l’année dernière de la ressortie de la rétrospective de son premier label Plus 8, difficile de ne pas interpréter cette Kompilation un peu bâtarde comme le reflet du malaise qui existe aujourd’hui à propos de Richie Hawtin. L’arrivée de ce best-of est l’occasion de se rendre compte que sa progression musicale – tous pseudonymes confondus – semble s’être arrêtée en 2005, à l’époque de DE9 :Transitions. C’était il y a cinq ans. Ce qu’il a laissé depuis ? Des cd-mixes promotionnels (Mixmag), un podcast (Resident Advisor), un documentaire à son propos (Slice), un autre de son initiative, le DVD de la tournée de son label Minus : making kontakt. Des choix qui contribuent à l’impression d’un développement exponentiel de sa popularité. De plus en plus de communication et de spectacles, de moins en moins de musique. Après avoir été longtemps un réel innovateur, il investit aujourd’hui sur sa légende et se construit une place de technosaure comme les autres. Un décalage entre le discours et l’actualité qu’il n’ignore pas. Dans un entretien avec Todd Burns pour le magazine Groove, il tente d’expliquer son manque prolongé d’inspiration pour un nouveau disque de producteur.
En fait, Richie Hawtin est tout simplement passé de l’autre côté du mot « producteur », celui de l’entreprenariat. Au fil d’une transition en douceur qu’aura permis le brouillage de la distinction mix / composition dans sa série de mixes DE9, ses personnages de DJ et de label manager avaient déjà pris le dessus dans sa figure publique. On peut voir la passion qu’il voue aujourd’hui à l’élaboration de spectacles comme l’étape suivante et logique de cette démarche. Il faut aussi admettre que cela faisait un moment que certains riaient de son goût de l’innovation. Difficile en effet de voir dans son utilisation actuelle de Traktor (après l’avance prise avec Final Scratch) , ses tweets automatiques de playlist ou les SMS projetés sur des écrans géants un modèle pour la décennie à venir. A relire aujourd’hui la déclaration d’intention de son label Minus, on reste perplexe : « Minus will explore new mediums and their relation to music and technology. Instilled within the motion of change and exploration, musical boundaries are minimizing. This subtraction of sound and communication broadens the future of creativity ».
Avant autant insistance sur cette rhétorique du changement, on voyait son parcours autrement. A l’occasion du passage à Paris de la tournée Plastikman, un témoin aurait entendu s’envoler ces quelques mots : « Plastikman, c’est Dieu qui te parle, mais il n’a rien à te dire ». C’est une jolie phrase qui décrit bien l’ascèse presque mystique qui caractérisait l’apogée de son style : le mindfuck indolent de Consumed, celui qui l’avait vu inventer une sorte de classicisme techno. Hypnotiques, oublieux, basés sur des variations de timbres fantomatiques, ces morceaux noirs et purs restent aujourd’hui d’une dignité folle et tout à fait différente du purisme qui caractérise souvent la scène post Basic Channel. Ce n’est qu’aujourd’hui que ce disque monolithique trouve une descendance perverse, mais chez les autres, dans les volumes obtus et opaques de Marcel Dettman, ou la concentration technique d’Emptyset. Comme si la radicalité de Consumed avait constitué un point de non-retour et condamné le projet Plastikman, l’éloignant de sa source vive, l’énergie rave qui nourrissait ses prédécesseurs Sheet one, Musik et Artifakts. Sorti en 2003, le successeur de Consumed s’appellait Closer. En faisant intervenir une voix spectrale presque kitsch, il était déjà du côté du déclin de cette cellule créative, avant l’accent final, cette fois résolument rétro de la série de maxis Nostalgik.
A ce qui est presque aujourd’hui une autre époque, questionné sur ses projets, Richie Hawtin racontait son obsession du moment : il cherchait une façon de faire danser sans kick, par un élément moteur qui vienne uniquement de la texture même des sons. Avec la primauté accordée aux spectacles, aux lumières, bifurque une trajectoire d’une ambition rare, portée par une foi dans la dimension magique de la techno, musique à laquelle il offrait en retour une aura fantasmatique. Plastikman fait désormais partie du monde païen. A ce titre, on voudra voir ce best-of comme une borne étrange, tristement symbolique de l’état actuel du projet, plutôt que comme un testament. Comme disait Pierre Dac : « L’homme à l’avenir devant lui. Et quand il se retourne, il l’a dans le dos ».