Yuki et Nina serait originaire d’une sympathie entre Hippolyte Girardot et Nobuhiro Suwa sur le tournage d’Un Couple parfait. Au demeurant, la prolongation du travail du cinéaste japonais semble prédominer : tournage et scénario minimalistes, plans-séquences, naturalisme de la prise s’appuyant sur l’improvisation des comédiens. La trame est à nouveau celle d’un couple, ici franco-japonais, qui se délite. La séparation se vivra néanmoins à travers l’œilleton de Yuki, leur jeune fille de 9 ans et de sa meilleure copine, dont l’amitié semble compromise devant le départ éventuel de la mère au Japon. En bon drame conjugal, le film déploie batteries de scènes de mesquineries adultes et autres piques pré-divorce dont les enfants sont les victimes collatérales inconscientes. Le précédent film de Suwa avait su bouleverser par un équilibre parfait entre hasards du réel et maîtrise de la mise en scène. La gageure de cette nouvelle entreprise est de vouloir diriger de jeunes enfants tout en laissant une marge suffisante de liberté de jeu (Noë Sampy et Arielle Moutel y sont d’ailleurs assez prodigieuses). Mais l’atout se voit vite malmené par une ambivalence grandissante chez ses auteurs. A l’image du couple marié qui cherche un terrain d’entente, la paire Girardot-Suwa peine à démarrer son film sans succomber aux affres frenchy de la psychologie de moeurs. Comme ampoulé par un héritage trop lourd (Pialat, comme souvent, mais aussi Depleschin et son petit théâtre de cruauté familiale), le film croule sous un désir de remplir le cahier des charges dédiés aux sempiternels émois de quadras parisiens.
Il faut attendre la scène la plus insupportable pour que le film se défasse paradoxalement de ces liens. Girardot, en roue libre, aka le père de Yuki, enjoint sa fille (son personnage ?) à faire abstraction des futilités existentielles pour mieux grandir. Cet appel à l’indépendance va heureusement prendre une forme de mutinerie infantile sur le monde adulte. S’il y a un divorce efficace dans le film, c’est bien celui de Yuki d’avec ses créateurs. Les deux cinéastes s’abandonnent alors au bon vouloir des deux mômes, qui prennent la tangente et s’évanouissent dans la nature. La mécanique se déleste de ses oripeaux néoréalistes pour virer vers le conte panthéiste. On pourrait gloser égérie sylvestre façon Kurosawa, voire Kawase et sa Forêt de Mogari, il n’en est rien. Yuki et Nina s’enivre de la virginité de son nouveau décor (la forêt comme année zéro) et se purge de toutes les influences cinématographiques qui auraient pu achever l’entreprise initiale. La vision du couple, pressentie boboïsante, se mue finalement en bras d’honneur poétique de l’innocence contre toute ascendance. C’est cette puérilité réprimée, cette part de caprice à recréer un monde alternatif qui parviennent in fine à hisser le film vers d’autres cimes.