Après sa période pachydermique (Le Seigneur des anneaux I, II, III et King Kong), et à l’occasion de son premier tournage sur le sol américain, le chef de travaux Peter Jackson semble avoir voulu revenir vers l’esprit d’un Heavenly creatures et parer sa filmo d’un peu plus de modestie, ne serait-ce que budgétaire. Pour une fois, c’est promis, Jackson n’essaiera pas de faire dans le monumental. Le pitch : Susy Salmon, frêle ado et photographe en herbe, est sauvagement assassinée quelques jours après avoir pris par hasard une photo de son bourreau (idée géniale, par ailleurs). La voilà qui erre dans les limbes, un entre-deux mondes dont elle ne pourra sortir qu’une fois le coupable désigné et jugé.
Teen-movie, film de vengeance, thriller, délire fantastique, Lovely bones saute d’un genre à l’autre, laissant le fil de l’histoire s’enfoncer dans une flaque de gadoue que Jackson ne finit plus de touiller, dans l’espoir qu’une sorte de sous-Zodiac en émerge. L’hésitation du film ne s’en tient pas là. Il y a par exemple aussi un véritable problème d’identification, rendue très trouble par la valse des points de vue se succédant comme dans une course de relais : la fille assassinée passe le bâton à son père haineux après vingt-cinq minutes, la sœur meurtrie prend la suite et remonte le couloir gauche, avant que le tueur n’accélère jusqu’à la ligne du générique. Cette disposition des rôles, déséquilibrée, déstabilisante, s’il aurait peut-être pu en naître quelque chose (mais quoi ?), ne contraint le spectateur qu’à l’errance dans les parages d’une œuvre tombée dans le coma.
Et comme souvent derrière l’armada mise en place, la geste jacksonienne s’avère ultra rudimentaire : s’emparer d’un matériau préexistant (film ou roman), se remplir les poumons et lui insuffler de l’air jusqu’à ce que la chose (ah, le pauvre King Kong…) soit au bord d’exploser. Peter Jackson, c’est le cinéaste de la gonflette. Quant à l’empreinte visuelle du film, les scènes d’effets spéciaux (dans l’autre monde) se tiennent dans la droite lignée de ce vert-bleu champêtre qui colorait les bons vieux fonds d’écran Windows 95 de nos IBM 90’s, offrant à Lovely bones une parure très vintage, supra-kitsch et passablement repoussante. S’il a certes voulu tenter une œuvre plus personnelle sur le thème du deuil impossible à résorber, sur les bouleversements atomiques (y compris sur le film) que cause la disparition d’un être cher, et s’il a probablement souhaité donner plus de consistance et de surfaces à ses personnages, Jackson n’en a pas moins livré là son plus grand ratage, passant d’une oeuvre de gros bourrin à ce mélo à paillettes aussi plat qu’une semelle de serial killer.