On a jamais bien compris comment ni pourquoi le monde avait bien pu passer à côté de Cue, le merveilleux album de 2007 du Berlinois Andrew Pekler. Certes, ses premiers efforts jazzeux et un brin normés pour Matador ou le ~scape de Stefan Betke étaient un peu trop gris et transparents pour s’imposer sur les étagères, mais Cue, paru sur Kranky, était autrement excitant : une soupe analogique dense et électrique de loops oléagineuses et de pulsations très charnelles qui brillait très fort dans les diverses propositions de mise-à-jour du rock immobile de Faust ou Neu ! D’ailleurs, l’ex microhouse hero Jan Jelinek, aux activités de plus en plus effrontées grâce au storytelling débridé de son label Faitiche, ne s’y est pas trompé en l’invitant dans tous ses projets collectifs passés ou en cours, The Exposures, Center of Excellence ou Groupshow (dont il ne faut pas rater l’album de l’an passé, The Martyrdom of groupshow). Aperçu par le petit bout de la lorgnette comme par le grand, les aventures actuelles de ces Berlinois fatigués de la techno et de Max / MSP sont passionnantes : les doigts emmêlés dans les câbles sur les panneaux des synthés modulaires ou sur les générateurs de sinusoïdes, ils rêvent à la parenthèse enchantée des premières heures de la musique électronique et se perdent volontairement dans les histoires presque inédites qu’ils se racontent.
Les yeux pleins des paysages imaginaires des vieilles B.O. magiques du Space Age, les oreilles remplies de skits élastiques de Raymond Scott, Tod Dockstader, Dick Raaijmakers ou des disques de bruitages technicolores qui embarrassent encore les soldeurs de disques, ce nouvel opus solo de l’Américain est pourtant bien moins passéiste que ses matières. Hyperactives et morcelées, ses quatre plages très peuplées ont été assemblées puis sculptées à même la matière des pistes abandonnées, brouillons inachevés et autres sons orphelins qui encombraient les placards de Pekler et, contrairement à une floppée d’albums emmerdants du moment estampillés drone ou néoclassiques, on ne s’y ennuie jamais. On ne s’y casse pas les dents non plus, puisque les paysages sont toujours colorés et (relativement) accueillants (au hasard, du blues cosmique à theremin, des boucles mourantes de musique extrême-orientale, des ballades spatiales, des machineries trop huilées et quelques déserts électroniques à la Artemiev) et si l’on passe du coq à l’âne comme on traverse les trous de ver dans le Roaratorio de John Cage ou, récemment, les disques du label Ghostbox, l’extrême cohérence des ambiances et des matières, toutes belles et toutes triturées à même l’écho à bande, fait une expérience d’écoute aisée et presque lénifiante. Un disque de presqu’easy listening, dont on déguste même jusqu’aux incessantes convulsions ? Ca doit être une question d’époque. Ne passez pas à côté de cette merveille, tirée à 300 exemplaires sur le petit label Schoolmap : il est également disponible sur toutes les bonnes plateformes de téléchargement.