Sur le papier, d’abord, on tremble de peur. La politique fiction est un genre peau-de-banane sur lequel glisse souvent des deux pieds le cinéma tricolore. Son défaut ? Vouloir imiter son grand frère américain, mais avec les moyens et la bouffissure de la grenouille de la fable, voulant se faire plus grosse que le boeuf. Et que ça surjoue, que ça brûle la conspiration par les deux bouts, abusant de plans de vitres teintées et de chaussures Tod’s trop pressées pour être honnêtes. Que ceux qui ont vu « Le Candidat » avec Yvan Attal lèvent le doigt…
Alors, « La Sainte Victoire », même constat de défaite ? Déjà, son thème vise moins haut : il n’est pas question ici de complot élyséen ou de micmac républicain (bref, pas de Dupontel à la mine sombre comme dans « Président » de Lionel Delplanque, ouf), tout se passe à l’échelle locale, quelque part dans le Sud (sauf que personne n’a l’accent cigale, à la Pasqua, re-ouf). Et l’histoire, moins que de se la jouer polar politique tarabiscoté, s’intéresse aux destins croisés-percutés de deux personnages, liés par la gagne et le vice : Xavier Alvarez (Clovis Cornillac), architecte qui en veut, et Vincent Cluzel (Christian Clavier) candidat outsider à la mairie, prêt à mettre de l’eau dans ses idéaux. S’ensuit un jeu de courte-échelle entre nos deux Machiavel, jusqu’au « twist » qui fera tout s’écrouler.
Construit en diptyque, le film ne montre pas tant une relation « up & down », que l’endroit et l’enfer de la nature humaine. « Qu’êtes-vous prêt à perdre pour gagner ? » interpelle le gimmick, qui situe bien nos marécages intérieurs. On suit d’abord Alvarez auquel Cornillac prête sa belle vulgarité porcine, ce gars de la France d’en bas qui se lève tôt. Comme un réflexe de survie sociale, il a toujours voulu sortir de sa mouise caillera, devisant même, ado à l’arrière d’un bus scolaire, « Le fantasme de mes potes, c’était les bouquins de cul, et moi, les fauteuils Le Corbusier ». On a, à le voir, envie de citer Stig Dagerman (« son besoin de consolation est impossible à rassasier »), même s’il s’agit plus du « Paysan Parvenu » de Marivaux.
En face, Clavier ne manque pas de touché. Loin de sa morgue napoléonienne, il endosse la veste croisée de petit politicard à merveille, qu’il retournera sans faux pli. La force de l’acteur (et celle de l’écriture) est d’y mettre les nuances : notre homme n’est pas un salaud véreux, mais un opportun qui apprend à composer (donc à renoncer) au fil du drame. Il se déçoit, il nous déçoit, mais voilà, il le sait maintenant, la réussite en politique n’est pas un long fleuve tranquille.
Le film de François Favrat évite le slogan « Tous pourris ». Il montre la crapulerie off, les barbouzeries (vol d’affiches électorales, ratonnade…), la prise illégale d’intérêt, mais comme un décor de principe. La politique est une guerre sale, c’est un fait, inutile de s’appesantir. Ça laisse du coup de la place et du temps (105 mn) à l’analyse de ce drôle de couple, qui valse de la confiance à la dette « amoureuse » pour finir sur le pire cancer de l’âme : la déception. Bien sûr, tout n’est pas parfait : il manque le venin d’un Mocky, les effets « voix off » et les modes « ralenti » sont de trop, et le rôle secondaire de Yaya (Sami Bouajila), touche de couleur dans un monde de cols blancs, n’apporte pas grand chose. Mais La Sainte victoire parvient à donner aux conventions du buddy movie une complexité suffisamment rare pour éviter la caricature.