Difficile de ne pas évoquer Faulkner, d’ailleurs cité en exergue, à la lecture de ce roman de Jayne Anne Phillips. La puissance que dégage Lark et Termite, l’écriture, portée par un lyrisme, un souffle qui ne retombent à aucun moment, ne peuvent que rappeler l’incontournable écrivain du Sud, souvent cité en modèle, souvent invoqué par la critique, rarement sans doute autant à juste titre qu’ici. A travers une histoire d’une simplicité redoutable, Jayne Anne Phillips parvient à lever des voix inoubliables, à payer tribu à la grande histoire (le massacre de No Gun Ri des 26, 27 et 28 juillet 1950) exposée à travers la plus petite, à rendre hommage aussi à la Nature, extérieure, intérieure, à quelque chose de primitif, de viscéral, à une conjonction de sensations, de ressentis, d’émotions qui passent par ce qu’il y a en chacun de plus élémentaire : le souffle, la peur, la joie, la colère, l’apaisement.
Lark et Termite est un roman polyphonique, oscillant entre Corée du Sud et Virginie occidentale, entre bombardements et inondations, entre enfance et perte d’innocence. Les voix sont celles du caporal Robert Leavitt, coincé dans un tunnel, oublié par ses camarades, condamné à mort ; celle de Lark, « l’alouette », fille de sa femme Lola, qui aux Etats-Unis porte leur enfant, Termite ; celle de Termite, justement, au crâne empli d’eau, muet, à la sensibilité exacerbée ; celle de Nonie, enfin, la sœur de Lola, qui élève les deux enfants. Le récit se déroule sur 5 jours, entre le 26 et le 31 juillet. 3 jours en 1950 qui laissent au caporal Leavitt le temps de comprendre qu’il ne rentrera pas chez lui ; 5 jours en 1959, qui brutalement font passer Lark de l’adolescence à l’âge adulte. Une journée, ce 31 juillet 1951, qui fixe la destinée de Lola Leavitt, figure qui imprègne le roman tout entier, sans qui rien n’existerait, mais dont la voix ne s’élève que pour clore le roman.
L’exceptionnelle réussite de Jayne Anne Phillips réside en grande partie dans l’équilibre qu’elle parvient à créer entre les différents temps du roman, leur portée symbolique, leur étrange et improbable symétrie ; pour le reste, elle appuie le récit sur une émotion qui à aucun moment n’outrepasse la portée du récit, mais s’y fond au point d’en devenir indissociable. Comme Termite, qui comprend le monde par bribes de sensations, le sentiment, ici, fait le texte, sans jamais déborder l’histoire, simplement en devenant incontournable. C’est ce qui permet qu’on passe de l’histoire de cette famille, détruite, à quelque chose de plus universel. Parce que Phillips, aussi, met au service de son récit la colère des éléments, faisant écho au drame de la guerre, à la détresse individuelle. Et parce qu’elle ne se complaît pas dans la destruction, le désespoir.
Lark et Termite, contre toute attente, est un récit heureux. C’est ce qu’il y a de meilleur en chacun de ses personnages qui permet à l’histoire d’avancer, mais sans mièvrerie, sans complaisance, avec un naturel confondant, une forme d’innocence surprenante. Leavitt dans son tunnel fait appel à ses souvenirs des jours d’avant, imagine la naissance de son fils ; Lark, en quête de sa mère, se livre, sans a priori ; Nonie pardonne ; et Termite perçoit tout, au-delà de la simple conscience. Le récit défile, il ne reste à Jayne Anne Phillips qu’à agencer les pièces d’un puzzle, tellement simple, tellement élémentaire, que le roman n’est plus qu’une évidence.