Curieuse configuration que cette trilogie policière qui semble promise à une existence éphémère en salles (on sent un rattrapage de distribution en DVD). Adaptée d’une quadrilogie de bestsellers écrits dans les années 2000 par David Peace, The Red riding a néanmoins le mérite d’intriguer par sa fatrasie.
L’action choisit de dépeindre l’Angleterre du Yorkshire (Leeds, Manchester), paysage du nord métamorphosé par l’urbanisme minier et ouvrier, agité par les incises libérales d’un thatchérisme galopant. Sur trois époques, trois cinéastes déploient trois visions respectives, mais suivent un fil rouge : une vague de crimes sexuel irrésolus, qui ne manquent pas d’alerter les foules en manque de piloris. Les pistes (actes pédophiles, œuvre d’un serial killer) et les victimes se multiplient, pour la plus grande impuissance des forces de l’ordre qui s’échinent en parallèle à déloger leurs propres moutons noirs. Pour chaque opus, un individu, plus moral et idéaliste que les autres, tentera de démêler l’affaire, mais ne s’abîmera que plus violemment dans une spirale tragique.
Les épisodes se complètent et s’imbriquent comme pièces d’un puzzle pervers. La démarche est avant tout de tirer le portrait acide de Leeds, en métaphore prolo de la sempiternelle Babylone. Des forces policières gangrénées par la corruption, un Barreau aveugle à toute justice, des médias qui se gargarisent d’une machine à faits divers increvable, un clergé trop civique pour être honnête : chaque institution de la Cité semble grignotée par la crasse indéfectible de la médiocrité humaine. La charge peut paraître épuisante de noirceur pseudo-réaliste : le voile de suie, le bruit et la fureur ne laissent que peu de place à l’échappatoire onirique et font trop office de decorum masquant une certaine facilité.
Il faut d’autant plus se plier à l’exercice d’obédience chronologique (rien à voir avec une trilogie expérimentale comme celle de Lucas Belvaux) de la saga, d’un intérêt fort relatif si on se limite à n’en voir qu’un ou deux épisodes. La mise en scène diffère certes pour chaque cinéaste : 1974 et 1980 rejoignent l’esthétique documentaire des fictions anglo-saxonnes de l’époque, alors que 1983 paraît plus léché, en osmose avec une imagerie MTV balbutiante. Mais ce n’est pas non plus par ses excentricités picturales que Red riding trouve sa vitesse de croisière. Sans être détestable, chaque épisode, bourré de tics relatifs au genre, ne trouve aucun épanouissement dans son individualisme.
La réussite tient plutôt dans l’effort commun à faire graviter en suspens des éléments narratifs et des personnages qui alternent premier rôle et figuration d’un épisode l’autre. Le foisonnement romanesque et la soudure de miettes narratives donnent un ciment à cette fragile embarcation morcelée. Chaque élément de scénario agit comme effet-papillon en devenir. Parfois présage, parfois baudruche, le pivot narratif suit son évolution, comme guidé par un didactisme autonome. En bonne logique sérielle, The Red riding trilogy questionne la place du détail en lui donnant une lumière et un sens alternatifs, devant la promesse d’une seconde lecture. Tours à tours victimes et bourreaux, les quelques rescapés de cette fresque errent entre les fils d’un tissage diégétique arachnide, dont l’horizon ne parvient jamais à rester absolu. Bourrée de défauts au demeurant, The Red riding trilogy distille un plaisir progressif : celui, coupable, de contempler un récit s’enivrant de ses propres tourments.