La Grande vie ne démarre pas sous de mauvais augures. On se prend presque de sympathie pour ce prof de philo de province, militant pour le droit au logement à ses heures perdues. Lorsqu’il se voit catapulté porte-parole de sa cause lors d’un reality show, on déchante vite. Sur le plateau, le jeune idéaliste est victime d’une épiphanie douloureuse : son discours inconséquent face à celui de son adversaire, entrepreneur responsable d’expulsions en HLM, (Bernard Lecoq, suggestion poivre et sel d’un futur Jean Sarkozy), dont la langue de bois s’adapte parfaitement aux méthodes expéditives de spectacularisation de l’audimat. Pris sous l’aile du présentateur de l’émission (Michel Boujenah, en mauvais clone d’Ardisson), qui voit en lui le moyen de le sauver de sa vie de débauche, le jeune provincial finit par lui enseigner, moyennant finance, un coaching de vie. Aux amourettes d’un soir et aux échappées cocaïnées de son élève, le nouveau Rastignac répond allégories platoniciennes et autre spinozades. « Il sera un Socrate pour l’Alcibiade du petit écran », lit-on dans le dossier de presse. Soit. En échange, à lui « la grande vie » : au diable sa relation banale avec une simple libraire au profit d’une idylle parisienne avec une reporter (préférer Céline Sallette à Hélène Fillières, là est le choix le plus osé du film), oublié l’appartement de fonctionnaire au profit d’un loft offert par son nouveau patron.
Ce n’est pas tant la démarche de dépoussiérage des textes philosophiques qui gêne. Pas plus que la réalisation qui enchaîne maladroitement des situations comiques sans ressorts. L’inspiration émerge même parfois au milieu d’un enchevêtrement poussif de gags. Lors d’une scène, le personnage, enfin épanoui (comprendre : enfin habillé en CK), se retrouve sur un plateau TV vide. Une caméra, allumée, retransmet en différé. De manière enfantine, le personnage gesticule devant un écran qui lui rend son image, mais décalée dans le temps. Soit la possibilité de temporiser, d’être soi-même en différé, comme une anomalie face au flux frénétique de l’immédiateté médiatique. Mais l’expérience se voit interrompue, et la grâce avec, par un assistant de production, joué par le réalisateur lui-même. La mise en abyme, éloquente, expose le symptôme principal. Trop soucieux de mener sa croisade, Salinger ne se laisse accaparer par aucune respiration et finit par asphyxier sa démarche. Les parenthèses poétiques ne sont que caprices excentriques, place au réveil des consciences endormies devant les ravages de la grande coupable : la télévision, qui se gargarise du temps de cerveau disponible de nos pauvres masses. Une autre scène propose une alternative. Ivre, l’employeur du jeune philosophe contemple une affiche publicitaire où pose la femme de sa vie, qui lui a brisé le coeur. Sur la pub, écrit en gros : « Crisis for men ». Le personnage, tel un pantin, regarde sa réalité métaphysique, celle d’avoir créer son propre malheur, sa propre crise, à force de galvaudages de la Culture. On l’a compris, c’est la crise. Cette fameuse Crise qui nous immerge au quotidien, dont la faute n’incomberait qu’aux manipulations des médias. Pas faux, mais la seule voie de salut est-elle de s’offrir comme pensum homéopathique à la perte de repères, de pointer l’idéal louable de noblesse culturelle à inculquer sans savoir se départir de bouffonneries ?
A force de croire à un complot fantoche (personne n’est dupe et connaît les dérives contemporaines de la lucarne), Salinger et son entreprise stakhanoviste s’essoufflent à s’ébrouer dans un verre d’eau. A se travestir en mauvaise conscience de la TV et du nivellement par le bas, il en oublie d’être immunisé face à la contagion qu’il se plaît tant à accuser. La conséquence ne peut qu’être une énième galéjade, lestée d’un esprit révolutionnaire de boudoir.