Depuis maintenant une grosse vingtaine d’années (Quant au riche avenir, son premier roman, date de 1985), Marie Ndiaye élabore une oeuvre forte, d’une ambition et d’une cohérence esthétique remarquables ; Trois femmes puissantes, disons-le tout de suite, ne déroge pas à la règle, et constitue peut-être même son meilleur livre. Trois portraits de femmes viennent former trois récits distincts, impressionnants dans leur traitement complexe et virtuose d’une même thématique : celle de la solitude héroïque face à l’adversité. Constructions ingénieuses éloignées de tout psychologisme simpliste (la formidable mise en abime du deuxième récit, évocation décentrée d’une femme perdue par l’intermédiaire de son mari), une liberté formelle qui ne verse jamais dans la démonstration, des dispositifs subtils qui refusent toute forme de pathos…
Ce nouvel opus s’impose par une extraordinaire maîtrise narrative. Quant aux trois histoires, donc, elles mettent respectivement en scène Norah, Fanta et Khady, « héroïnes » aux prises avec des situations au premier abord insurmontables. Souffrances imposées par l’exil (l’Afrique est très présente), par une sphère familiale étouffante ou par la pauvreté, tout, dans ce roman, renvoie à l’idée du nécessaire maintien de la dignité : « Elle ne regrettait rien, immergée tout entière dans la réalité d’un présent atroce mais qu’elle pouvait se représenter avec clarté, auquel elle appliquait une réflexion pleine à la fois de pragmatisme et d’orgueil (elle n’éprouverait jamais de vaine honte, elle n’oublierait jamais la valeur de l’être humain qu’elle était, Khady Demba, honnête et vaillante) ». Déroutant et rassurant à la fois, ces Trois femmes puissantes sont assurément l’un des grands textes de ces derniers mois, et devraient survoler cette rentrée littéraire. A juste titre.