Le générique qui s’inscrit en lettres lumineuse sur les immeubles de Casablanca au son d’un gros rock qui tâche affiche d’entrée de jeu la volonté de Nour-Eddine Lakmari d’excéder le programme très « world cinéma » auquel son synopsis semblait le destiner : petits trafics et virées nocturnes de vitelloni immatures, désirs d’immigration et conflits de génération. Casanegra respecte intégralement ce cahier des charges, mais cherche à le doper à chaque instant, par le genre, les éclairages urbains (c’est beau une ville la nuit), une coolitude pseudo-tarantinesque. On se doute bien que cette débauche d’effets ne mènera pas le film bien loin, on a une pensée émue pour Hou Hsiao-Hsien et Jia Zhangke, dont l’apparente passivité documentaire se révélait tellement plus forte, tellement plus âpre, sur des canevas voisins. Le film ne peut évidemment pas être jugé à cette aune mais, l’espace d’un instant, on se prend à y croire : on voudrait vraiment pouvoir saluer cette santé, cette énergie, cette envie de cinéma manifestes.
On ne sait pas ce qui nous gêne le plus, de la musique d’ascenseur qui nappe les deux tiers du film, des accélérations CNN hystériques, de la nullité des dialogues et de l’interprétation. Le film achève de se casser la gueule dans ses tentatives « bigger than life », sa peinture de personnages secondaires forcément hauts en couleurs : une sorte de parrain minable, avec son éternel survêtement vert et son bichon au bras, un habitant des beaux quartiers au jeu « grande folle » sans finesse (c’est un euphémisme), ou encore ces revendeurs gesticulants qu’on croirait sortis de Las Vegas parano. On voit bien ce que le cinéaste a en tête, on conçoit son désir de rehausser la platitude du constat par une truculence et un anti-naturalisme forcenés, qui se rêvent sans doute shakespeariens. Transformer les SDF d’aujourd’hui en une cour des miracles : il nous est arrivé de louer le procédé ailleurs, la grossièreté de la mise en oeuvre est telle qu’on n’a même plus envie de reconnaître la validité des intentions. Il y avait pourtant de belles choses, sur le papier : ce père muet et triste, souffrant manifestement d’un Parkinson avancé, la Suède comme horizon paradisiaque, que remplacera in fine la Norvège… A part ça, rien n’aura changé, et le final suggère un éternel retour pas vraiment exaltant. Ce cinéma dopé court plus vite, on en voit mal l’intérêt s’il s’agit de reproduire ainsi ad nauseam toujours le même parcours.