Basé à Genève, le groupe Sinner sort des disques depuis la fin du millénaire dernier. En atteste Dog vs. Baby Sitter, album aujourd’hui collector (qui contient notamment l’ogive punk rock International Fear Day) édité en 1996 sur le label helvète Noise Product Records. A cette époque, déjà, on sentait les velléités électroniques de ce groupe de rockeurs dont les paroles ombrageuses et les roulements de riffs laissaient à penser qu’ils iraient bien plus loin que le bout d’un médiator. Les petites interludes de l’album, sorte de chenilles électr(on)iques hypra-envoutantes formaient virtuellement des débuts de passerelles vers la techno et autre mouvement electro. Récemment agrafé par le label londonien Ai Records (qui compte déjà dans son catalogue leur extraordinaire Mount Age édité en 2006, ainsi qu’un EP de remixes titré Montage, qui invite entre autre Sonic Boom), la formation genevoise passe maîtresse dans l’art de détourner, plaquer et former un maelström d’ambient électronique où le rock se transforme en kraut, développe des sphères erratiques et hypnotiques selon les instants et les ambiances…
Chroniqué par le New York Times pour Mount Age (« hazy and propulsive, gurgling keyboards and sound effects on top of ultraprecise beats… »), les petits Suisses deviennent grands, au fur et à mesure que leur longue carrière se déplie, doucement mais surement, propulsée par une nonchalance violemment intrinsèque. Prenons par exemple le morceau Anyway, un des cristaux liquides les plus brillants de leur nouveau travail. Les harmonies lentes de cette minutieuse portion pop s’épaississent lentement, à l’instar de filaments de matières musicales éparses, dont l’effet de gravitation s’amplifie lorsque la voix sous jacente du chanteur Manuel Bravo se met en place. L’univers de Sinner DC évoque un réseau de neurones orchestrés, dont les nœuds correspondent aux grands rassemblements de sons baroques : on y plane, on s’y perd avec bonheur, on réécoute en découvrant à nouveau un nouveau détail, un nouveau poème. On trouve dans Crystallized une matière ombrée qui se parfume à la couleur electro, mais aussi des superamas de galeries glamour, qui semblent renfermer jusqu’à plusieurs centaines d’étoiles sonores (l’extraordinaire et indescriptible Glass Alley).
Car au dessus de ce ciel bleuté que Sinner DC nous offre se cachent des télescopes qui restent obstinément pointés vers les constellations, les planètes, nébuleuses et autres trous noirs qui hantent le plafond des musiciens « à guitare ». C’est bien mille cosmogonies que le groupe parvient à condenser, mille vignettes irrationnelles dont les bruits constituent un tout, une évolution cosmique en forme d’orchestre symphonique (il semble y avoir sur ce nouvel essai plusieurs suites spatio-temporelles à leur chef-d’oeuvre They Never Stay, édité sur le fameux Mount Age ou encore au précieux Circle présent sur leur album Panoramic). Hyperdense et hyperchaud, le son de Sinner fonctionne aussi bien près d’un feu de bois que sur un dancefloor anglais. Leur petit chef-d’oeuvre enferme des lumières symphoniques qui parviennent en reculement progressif, pour ensuite imploser en big bang sulfureux. La formation Julien Amey (basses et samples), Manuel Bravo (chants, guitares, vocoder, sampling, jouets sonores…) et Steve Mamie (batterie et programmation, samples) réussit le tour de force d’enregistrer des portions de ciels tout en s’aventurant beaucoup plus loin dans l’abîme du temps et du mur du son que ses contemporains (le pourtant brillant M83 semble largué, en comparaison…). Incontournable.