En attendant un nouveau flux (le prochain Ulrich Köhler coproduit par Why Not), Sous toi, la ville clôt pour cette saison la belle vague allemande amorcée avec Le Braqueur et portée à son sommet par Everyone Else, et ce, sur une note très conceptuelle et une forme ultra léchée. Comme Eisenberg, mais de manière encore plus visible pour ne pas dire tape-à-l’oeil, Hochhaüsler est un théoricien. Peut-être faut-il y voir un travers de critique-réalisateur. Reste que ce penchant constitue un peu sa limite de manière générale (voir Le Bois lacté et L’Imposteur) et ici en particulier, même si ce troisième long impressionne par bien des aspects. D’ailleurs, cela semble être son but premier : impressionner par ses prouesses formelles, ses cadres tirés à quatre épingles, ses lents travellings qui sans cesse semblent nous dire : « Achtung, mise en scène ! ».
L’ambitieux Sous toi, la ville s’engouffre dans le monde virtuel et cruel de la grande finance. Une architecture moderne tranchante et glaciale sert d’écrin ostentatoire à une histoire d’addiction frauduleuse et amoureuse entre un grand patron et la femme d’un de ses employés. Bien que trop présente, la démonstration de force ne pèse pas de bout en bout sur le film. Il est difficile de résister à son caractère hypnotique, surtout durant sa première demi-heure : s’instaure d’abord un rapport de pure aimantation sur laquelle la théorie ne prend pas complètement le pas. Une femme marche le long des vitrines bourgeoises de Francfort, capitale allemande de la finance, où son mari vient d’être muté. Son regard s’arrête sur le dos d’une inconnue, plus précisément sur le vêtement qu’elle porte, un haut gris à damiers ; Svenja porte exactement le même. Intriguée par ce double, la jeune femme suit la passante, amusée et peut-être même soulagée d’avoir trouvé une motivation, une piste (ou plutôt un échiquier) à suivre dans cette ville froide et encore inconnue pour elle.
Cette piste sera aussi celle du film qui, à travers cette filature on ne peut plus hitchcockienne, marque la première étape d’une attraction irrépressible – celle que Svenja aura pour un homme de pouvoir redoutable et antipathique – indissociable d’une forme de dédoublement – dans cette relation adultère, elle deviendra une autre, un étrange fantôme urbain. S’esquisse déjà aussi au cours de cette déambulation une relation de chasseur et de proie, de dealer et de dépendant, qui caractérisera plus tard celle des deux amants, pris dans de pervers rapports de force et de manipulation (le patron envoie le mari à l’autre bout du monde). La manière très animale dont les acteurs, vraiment bluffants, occupent l’espace, comme s’ils étaient sur un champ de bataille, rend captivante cette rencontre ambiguë du pouvoir et de la sexualité. Pourtant, le film reste souvent lesté par son formalisme un peu chichiteux et démonstratif, la faute à une surexposition de sa mécanique et à quelques explications psychologiques inutiles. En découle une vision plus convenue que complexe du monde moderne et de ses conséquences. Trop tenu et tendu, Sous toi, la ville manque de cette fragilité, de ce lâcher prise qui donne un supplément d’air et d’âme à un film. Il est notamment regrettable que sa puissance érotique et sa dimension fantastique ne soient pas davantage exploitées, car c’est indéniablement là que se trouve son beau potentiel. Situé sur un même terrain mêlant l’intime à de plus vastes enjeux contemporains, le magistral Yella de Christian Petzold reste une référence indépassable et sans doute un peu écrasante pour cet exercice de très, très bon élève, tout à fait honorable mais un peu trop appliqué.