Mais qui est Kirby ? Une recherche sur le Web apporte sa moisson de réponses érudites. Mais la voie plus ou moins officielle sur ses origines ne nous intéresse pas ; on cherche au personnage de Masahiro Sakurai une autre parenté que celle d’un croisement entre le blob et l’aspirateur. Quelque chose de plus conceptuel, inattendu, que ce remake DS de Kirby super star ultra (autrefois édité sur SNES et agrémenté de trois mini games inutiles) autoriserait pour être le premier jeu où notre adorable boule rose copie les pouvoirs de ses ennemis. Inventer un personnage avec de telles capacités d’imitations, c’est plus qu’une idée de génie étoffant le gameplay archaïque de tonton Mario. Dans la vieille mythologie irlandaise, on parle de « shape changers », d’êtres capables de pomper les autres ou les choses pour prendre leurs formes. Si Kirby se contente essentiellement de voler les capacités des personnages entravant ses aventures (ou de les transformer en esclave combattant à ses côtés), il emprunte aussi un peu leur image. Voici donc un « shape changer », comme le fut, à certains égards, Bob Dylan, qui durant toute la première partie de sa carrière n’a cessé d’absorber comme une éponge les voix, accents ou manières des autres. Le lien improbable avec Dylan s’impose alors comme une évidence malicieuse en attendant de voir plus loin où mène le plaisir des filiations : puisque Kirby est potentiellement tous les héros du jeu, il n’est personne sinon tout le monde. Là où le folk singer s’est bâti un personnage de fiction composé de toutes les influences (laissant ainsi la possibilité à chacun de se projeter en lui, comme le suggérait le film concept de Todd Haynes, I’m not there), le bidule de Nintendo est une sorte de vide parfait que le jeu vient remplir dans un délire polymorphique.
Partir à l’assaut d’une forteresse volante, réconcilier la Terre et la Lune : dans Kirby super star ultra, notre héros a du pain sur la planche. Il se démène pour que tienne debout son monde kawaï tout de couleurs pimpantes, sucrées, douces, comme échappées d’un rêve repeint par un pâtissier maniaque du macaron. Car on ne dérange pas celui qui, a défaut de chanter Like a rolling stone, se déplace comme une pierre rondouillarde. Chasse aux trésors dans un niveau géant, course infernale contre le roi Dadidou, quatuor de mondes dédiés à la plate-forme (les objectifs sont toujours différents), l’éventail des six modes de jeux offerts par le titre est un vrai plateau apéritif. A butiner sans autre fil conducteur que Kirby, passant d’une aventure à l’autre comme s’il faisait son shopping. Devant ce panaché de mets sur lesquels on passe sans indigestion, on reste fasciné par sa générosité magnanime. Avec une forme de complaisance bonhomme, le jeu déblaie les contrariétés, comme si la toute puissance quasi démiurgique de l’étrange Kirby ne pouvait avoir de sérieux opposant. Il y a bien sûr, et d’abord, la volonté d’Hal Laboratory, créant une expérience ronde, sans arrêtes, ni pics, comme leur personnage. Mais aussi celle d’une destinée propre à Kirby : son monde est celui de la constellation Takeshi Murakami. Figure pop par excellence, il est l’incarnation des origines du « Superflat ». Un symptôme remettant en perspective la culture consumériste et insouciante où il est né. Kirby est ainsi le premier héros du jeu vidéo héritant de Warhol (à ce titre, souvenons-nous qu’il revisitait déjà l’« Histoire de l’art » dans Le Pinceau du pouvoir). Postmoderne, pour lui le monde se résume à une traversée ludique, hédoniste et sans contraintes où ses congénères (les autres sprites) sont potentiellement recyclables, imitables, piratés, parce que l’ontologie n’a plus de sens – ce qui, de fait, révèle cette absence et l’interroge. Aucun doute : il est à l’image de notre temps et aussi celui de l’enfance, autre signe troublant d’une époque liée à un âge à l’identité mouvante. Et si finalement Kirby c’était nous ?