De Partie de campagne à Blissfully yours en passant par Monika, l’échappée en milieu sauvage est un genre à part entière et aux déclinaisons multiples : dénonciation d’un quotidien forcément aliénant, éloge lyrique de la nature ou au contraire retour à la barbarie (Délivrance et le survival en général)… Et toujours cette volonté de larguer les amarres avec le récit, d’accéder à une table rase élégiaque ou contemplative. A l’instar des récents Montag ou Old joy (pour évoquer des horizons très différents), Au voleur appartient à cette seconde génération recycleuse qui n’ambitionne visiblement pas de se poser en nouveau jalon mais s’installe pour flâner dans ce périmètre déjà bien exploré, espérant y gagner un petit charme en mineur.
Comme il se doit, Au voleur se divise en deux parties bien distinctes, l’échappée belle succédant à la description d’un quotidien tristounet. La première n’est que moyennement convaincante, portrait respectueux de deux trajectoires déprimées – celle de Bruno, voleur et semi-marginal, et d’Isabelle, prof d’allemand titulaire « en zone de remplacement ». Salles de classe et petits larcins, tout ça n’évite pas une certaine mollesse narrative, mais celle-ci contribue aussi à rendre compte d’un certain désœuvrement et se révèle foncièrement attachante : personnages secondaires abîmés, bars PMU et vieux juke-box (à peine un portable par là : le film sillonne une banlieue grise qui pourrait être des années 80). Le problème, c’est qu’Au voleur manque cruellement du talent naturaliste qui lui aurait permis d’allonger un peu ses scènes et leur donner la consistance voulue. C’est toujours un peu court, un peu approximatif dans la direction d’acteurs, avec un recours à des béquilles scénaristiques et explicatives franchement malhabiles : la description de cet amour naissant est peu inspirée, quelques fils blancs sommaires viennent coudre le récit (une arrestation, une rencontre fortuite) et le surlignage menace en permanence, à l’image de cette scène totalement ratée où Isabelle expose à son élève la tristesse de leur existence. Il aurait fallu le génie de Brisseau pour cette frontalité naïve-là, quand tout ici n’est que lourdement explicite : une série d’intentions signifiantes que le film peine à incarner (décidément le mal récurrent de tout un pan du cinéma français).
Mais le film décolle à l’occasion d’une pure scène de genre : arrestation et poursuite en voiture, au beau milieu des barres HLM. On sait combien la greffe du genre sur un terreau réaliste est difficile. Elle prend bien ici. On a même rarement vu une poursuite filmée de cette manière, avec ces cascades cheap qui nous rendent le danger d’autant plus réel et palpable. Puis vient l’échappée proprement dite, part la plus séduisante, forcément, que le film préméditait manifestement depuis un moment : entre partie de campagne et ballade sauvage avec ces chants de l’ouest américain qui semblent nous parvenir de derrière les fourrés. Le film enchaîne les baignades dans l’eau claire et scènes d’amour au coin du feu, sans surprise mais avec une douceur inspirée et touchante. Et parfois étonnante, lorsque le couple en cavale découvre un barbecue improvisé ou un RER au détour d’une forêt moins sauvage qu’on ne l’imaginait. On pourrait, si l’on était ronchon, regretter que la cinéaste en tire des effets un brin systématiques ou répétitifs, ce serait faire peu de cas de cette belle intuition cinégénique qui sauve in extremis le film de la mollesse et de l’ennui.