Bien que délaissé en cours de route par Darren Aronofsky, Fighter reste habité par le spectre désabusé du Wrestler : son antihéros vit pour le ring mais frôle la dérive dans la banlieue molle de Boston, en marge d’une faune grisonnante qui l’aime tout en le méprisant. Malgré cette redondance, le boxeur de Mark Wahlberg est tout sauf une variante falote du catcheur de Rourke, et le projet se démarque d’emblée en conciliant deux tendances majeures du « film de boxe » : le biopic naturaliste, et l’ode au loser combatif, un peu minable et un peu élégant, comme on pouvait en croiser chez John Huston ou dans le premier Rocky.
C’est surtout dans cette approche de la lutte désespérée, faite de coups encaissés et jamais rendus, que se distingue David O. Russell. Héritant du script couvé depuis longtemps par Wahlberg, il saisit l’ambiguïté de la carrière laborieuse de Micky Ward, à cheval entre gloire et débâcle, entre épuisement tactique de l’adversaire et passivité autodestructrice. Emasculé par une mère-coach et sa progéniture nourrie au giron du punching-ball, éclipsé par le passé glorieux de son demi-frère (Christian Bale, génialement ravagé), Ward est ici un athlète bâtard et renié, diminué sur tous les fronts, dont les seules armes sont l’endurance et le refoulement. Dans la tradition du biopic de boxe (l’adversité qui se joue entre les cordes reflète celle de l’extérieur, des rapports humains), le film transforme son histoire en épopée blafarde, rythmée par des confrontations sèches – pas seulement sur le ring, mais aussi dans la cellule familiale, où les coups restent un langage en soi. Flirtant avec l’improvisation, les acteurs ondulent entre la violence maîtrisée des matchs et les dérapages haineux, impulsifs, des gestes ou des paroles. Christian Bale s’est trouvé au passage un nouveau terrain de jeu, sur lequel se déploie habilement sa verve d’escogriffe édenté.
Il pourrait donc y avoir là un drame sportif hybride, à la fois haletant et sympathiquement dépressif, si seulement Russell ne réduisait pas son film, peu à peu, à un mélo familial étriqué. Égarée dans une énième chronique des bas-fonds white trash, la seconde moitié du film renonce à l’universalité du combat au profit d’un crêpage de chignons envahissant, tout en rivalités sentimentales et en frustrations geignardes. À trop tirer sur le fil du réalisme cassavetien, certes profitable aux acteurs, le tableau de famille frôle la caricature psychodramatique. Il faudra attendre la remontée de Ward sur le ring pour que tombent les masques de sensiblerie ; la boxe, filmée comme un spectacle libérateur, revient alors comme le mode d’expression le plus éloquent et adéquat. Fighter finit donc heureusement par redevenir ce qu’il aurait du être de bout en bout, à savoir un film viscéralement physique, et non évasivement psychologique.