On a lu un peu partout qu’avec La Musique, Dominique A (lire notre entretien) était revenu à cette pop domestique, synthétique et flanquée de boites à rythmes qui l’avait révélé lors d’une Fossette inaugurale et dont le charme flou continue quelques lustres plus loin de phosphorer de toute sa poésie magnétique. De fait, il a enregistré seul et à la maison, claviers cheap et programmations rythmiques tout à fait têtues par dessus lesquels il a, le plus simplement du monde, déroulé nus falsetti chagrins, murmures inquiets, litanies colères rentrées comme on sait qu’il fait, comme on sait qu’il sait faire.
Si La Musique rappelle vaguement La Fossette, c’est surtout par son dénuement, ses sonorités, sa solitude volontaire et sa rapidité d’exécution. N’empêche qu’entre temps Dominique A a pris du muscle. Il a gagné en souffle et en ampleur, perdu peut-être en naïveté et en grâce immédiate. Il n’en est pas moins émouvant. Car si la teigne éthérée qui psalmodiait hier ses ellipses flippées et faux haïkus tournant mantras psychotiques semble avoir quelque peu disparu, c’est pour laisser place au soldat extenué, cent fois chu, cent fois relevé, et qui chante à poumons mieux déliés pourtant des textes toujours plus longs et développés. Entre temps aussi, il s’est frotté à la « grande chanson française » (celle des Brel et des Ferré, celle qu’on dit avec les bras). Non sans panache d’ailleurs, retenant avant tout de ce matériau miné son lyrisme effronté, sa fougue et ses excès heureux, ses ambitions orchestrales, sa qualité littéraire, puis l’électrocutant, la réformant par le biais des littératures contemporaines, du rock moderne, ce genre de trucs. Ce fût parfois réussi, parfois un peu moins mais c’est également ce qui nous attache aux disques de Dominique A : qu’ils contiennent toujours en eux, la possibilité assumée de leur propre échec. Ce type ne se laisse jamais tranquille et c’est plutôt beau.
Mais revenons à La Musique. Coloré eighties dans son ensemble, c’est un hommage amoureux jamais ricanant à tous les O.M.D / Ultravox de ses adolescentes années. On pourrait penser à un Taxi Girl rangé des cutters, au Murat de Cheyenne autumn, peut-être au Christophe de Beau bizarre. C’est accessible jusque dans la belle monotonie, tout en mélodies limpides. Direct dans l’énonciation. Lisible. Droit au cœur sinon rien. Avec ces soupçons de métaphysique vulgarisée : « J’ai tout essayé, j’ai pas trouvé le sens », « Je ne te l’ai jamais dit mais nous sommes immortels ». Avec ces situations inquiétantes : « Je me retourne dans le lit, je te regarde dans les yeux, mais qui es-tu ? ». Avec ces trouvailles poétiques fulgurantes : « le bruit blanc de l’été », « des mers à boire comme des draps tendus au décor ». Avec ses confessions troublantes (Les Etendues). Avec ses esquisses d’autoportraits, ses adresses à l’autre, l’écho du monde et cette espèce de nostalgie à cran, égayée ça et là de noms de villes plus ou moins exotiques et d’odeurs d’embruns.
A vrai dire, La Musique ne ressemble pas vraiment à La Fossette (ce qui, admettons-le serait absurde et vain de toute façon). Plutôt, La Musique ressemble à la discographie complète de Dominique A revue à l’aune de La Fossette. On y retrouve les goualantes désaxée de La Mémoire neuve (La Fin d’un monde), la mélancolie calciné de Remué (Qui Es-Tu ?), les fantasmes au long cours de L’Horizon (Immortels, Nanortalik), tout ça rejoué, remis sur le tapis, embrassé ensemble, unifié et transfiguré peut-être, par cette frontalité assez neuve. Encore une fois, Dominique A solde ses propres comptes, fait mine pour cela de remonter aux sources, entérine sa propre identité mais s’évertue à se survivre à lui-même. Eternel indécis décidément : il est à la fois un homme du ressassement et de la tangente, du bilan et du contre-pied. La Musique en rend compte, on l’aimera ne serait-ce que pour ça.