Habitué des sous-éditions discount, le cinéma de Mario Bava est à l’honneur chez Carlotta. Bonne surprise ? Forcément, bien que les films choisis calment un peu les ardeurs : aux rarissimes Les Vampires et Duel au couteau s’ajoute un des films les plus vus de l’auteur, La Baie sanglante. Les deux premiers sont des oeuvres très mineures : Les Vampires (en réalité réalisé par le grand Riccardo Freda et terminé par Bava) n’a, en dehors de son intérêt historique – c’est le film qui lancé la glorieuse épopée du cinéma d’épouvante italien à la fin des années 50 -, que quelques bons points à faire valoir : un noir-et-blanc somptueux (rien de plus normal chez Bava) et quelques effets spéciaux admirables (rien de plus normal chez Bava), dont une décomposition à vue restée dans la légende. Le second (Duel au couteau) vaut par ses couleurs étourdissantes et sa mélancolie ténébreuse mais peine à sortir de ses limites de série Z costumée. Reste La Baie sanglante, un des films les plus radicaux du maestro, dont la mécanique infernale transforme une propriété bordant un sinistre lac en théâtre brechtien et grand-guignolesque. Comme chez Visconti, le zoom devient ici une sorte d’agent poétique obsédant qui menace en permanence de ramener l’image – éblouissante de romantisme glauque – à sa dimension boueuse et pulsionnelle. Par son cynisme et sa logique hallucinée, le film annonce la période la plus folle de Bava (Lisa et le diable, Chiens enragés) et tire des splendeurs plastiques des origines (Six femmes pour l’assassin, Opération peur) une sorte de paroxysme expérimental et baroque.
Mais c’est d’un bonus inouï que provient la véritable surprise de cette triple sortie. Ce ne sont évidemment pas les précisions encyclopédiques de l’histrion Jean-Pierre Dionnet (la cinéphilie E = M6) ou la pompeuse analyse commentée de La Baie sanglantequi aident à masquer la relative indigence d’une édition qui, sortie sous un logo moins prestigieux, serait passée aussi inaperçue que le tout-venant CDiscount à moins de deux euros (La Fille qui en savait trop, Le Corps et le fouet, Six femmes pour l’assassin, oeuvres d’un tout autre calibre, existent depuis des années pour trois fois rien). Mais Carlotta a l’élégance de nous épargner le syndrome des éditions Neo Publishing (confier à un geek bisseux la réalisation d’entretiens cheap avec les survivants croulants de cet âge d’or) et emporte le morceau grâce à cette pièce d’anthologie : l’intégralité d’une émission diffusée en 1975 sur la RAI avec pour invités vedettes Mario Bava et le légendaire sculpteur et maître es effets spéciaux Carlo Rambaldi. A l’aube de ses triomphes hollywoodiens (Alien, E.T., Rencontres du troisième type), Rambaldi fait surgir sur le plateau une ribambelle de créatures articulées pendant que Bava, resté pratiquement invisible tout au long de sa carrière, expérimente des effets d’éclairages (la zombification à vue d’une actrice sur scène) ou des truquages optiques qui transforment l’émission en pur happening pop : on est entre le work-in-progress gothique et la performance foraine, dans le making of déliré d’un film imaginaire, quelque part entre Drucker, Wharol et Méliès. L’instant, vertigineux, est un trésor de guerre rendant à lui-seul honneur à cette impérative édition.