Il aura fallu trois ans (et une batterie de prix internationaux) pour que ce premier film allemand puisse être distribué sur les écrans français. Le décor et le sujet n’ont pourtant rien d’obscur : une banlieue munichoise, devenue champ de bataille entre deux bandes rivales de graffeurs. Les règlements de compte ne se feront pas à coup de battes (tendance Warriors) mais via détournement artistique (tendance Beat it) : le gang qui réalisera le tag le plus stylé de tout Munich sera maître des rues. Sous ses airs de West side story remis à la page par une syncope über alles clipesque, Wholetrain aurait pu n’être qu’une assimilation sans âme. Au demeurant, le pire est à craindre devant l’avalanche de plans formatés in da’ hood, hiphop East coast à fond les basses, lesquels semblent amorcer une improbable importation bavaroise de la street-culture newyorkaise.
C’est justement grâce à son amour sincère pour les fresques pop que Florian Gaag se déleste d’un carcan culturel trop lourd pour un simple film. Au début, Wholetrain ne sait sur quel rail filer : impossible de faire un choix entre traitement linéaire du récit – pas inintéressant mais embrassant la ligne convenue du film de gang – et fulgurance picturale. Fort de cette hésitation, Gaag déploie une réelle sincérité devant son dilemme, mais c’est la seconde qui finit par l’emporter sur le scénario. Galvanisée par sa B.O. furieuse, la mise en scène multiplie les plans de tags sur murs, métros et autres surfaces urbaines. Pris comme tel, ce déversement frénétique de palissades tatouées agit ad libitum comme une respiration entre les séquences scénarisées. Plus qu’une simple excentricité décorative, les graffs semblent s’épanouir comme véritables substituts aux personnages principaux, qu’on finit progressivement par délaisser.
Les nombreuses scènes de confrontation policière avec les tagueurs renchérissent certes sur la marginalité de cette microsociété. Mais la démarche reste, encore une fois, exemplaire d’équilibre, le film refusant la diabolisation des forces de l’ordre comme la victimisation de ses sujets. A se rêver précis démagogique sur la précarité / oisiveté de ses « parias » Wholetrain n’aurait eu d’autre récompense que de s’arrimer au contemporain sans pour autant s’assurer une survie pour l’avenir (tous ces films de banlieue, type La Haine, qui vieillissent terriblement mal). C’est justement l’intérêt des séquences graphiques que de souligner la pérennisation de l’existence d’un groupe pourtant en sécession avec les règles civiques. Gaag a compris que cette revendication clanique se mettra toujours au service du trait et de l’esquisse rageurs : prendre position de l’espace pour mieux se faire entendre. Ce contrat asocial customisé prend ainsi les couleurs et les traits d’un graff que tous les murs de la Cité munichoise impriment en écho. Les pirates tombent, mais leur geste colle immuablement aux parois. Il faut un certain talent pour que les manières d’un film l’emportent sur son propre sujet. Fort de cette allégation, Wholetrain refuse poliment son éventuel statut de reportage d’investigation dédié aux marginaux galériens pour mieux gagner ses galons de pur manifeste pictural. On saura s’en souvenir.