Ok, Hugh Jackman sent le fauve comme personne. Rouflaquettes de sortie et gros cubain au bec, l’acteur australien porte le film sur ses larges épaules et s’emploie -jusqu’à la caricature- en regards colériques, trapèzes stéroïdés et castagnes griffues. En vain : un air renfrogné et une implantation pileuse ne font pas un film, même lorsqu’il s’agit de Wolverine. Enième begins fomenté par Hollywood (après Daredevil, Hulk, Batman…), le blockbuster de Gavin Hood se coltine un triple et impossible cahier des charges : raconter les origines du plus badass des justiciers, servir d’introduction à la saga (lire notre chroniques de X-Men) et, si le temps le permet, histoire de contenter les plus exigeants, assurer le service après-vente (scénario, personnages, mise en scène, ce genre de trucs). Sur les trois fronts, c’est logiquement la déroute, Wolverine préférant battre le rappel des fangorns en casant un max de mutants, plutôt que de bander correctement son arc narratif. Encore un qui a confondu cinéma et Comic-Con.
Le temps d’une belle séquence-générique on se prend pourtant à y croire. Wolverine et son frangin Dents de Sabre y traversent les siècles de fondus enchaînés en raccords-mouvement -deux scènes pour leurs pouvoirs, trois pour leurs liens ambivalents- dessinant les contours du drame à venir en un seul souffle épique. Après celle mémorable de Watchmen, on va finir par croire que les studios ont inventé un programme de montage qui génère automatiquement ces ouverture ébouriffantes. L’effet pervers ? En lâchant sa meilleure cartouche d’entrée, Wolverine s’offre comme un grand show déceptif. Inexorablement, on va le voir s’embourber dans ces eaux tourbeuses du nanar thuné où croupissaient déjà Daredevil et X-Men 3. Ce n’est pas que Gavin Hood ne fasse pas le métier, il s’acquitte même plutôt servilement de sa tâche, mais l’abîme qui sépare les intentions du résultat file le vertige. Symptomatique : au lieu du Wolverine bestial promis de séquence en séquence, c’est un matou vaguement ronchon qui nous est servi, un félin falot qui colle des peignées à ses adversaires mais s’en excuserait presque. Un décalage qui devient irrésistible dès que Hugh Jackman fait mine d’être prêt à tout, figé dans la posture du super-héros vengeur et impitoyable, pour finalement se cantonner à des coups de sang sous valériane.
Condamné au ripolinage, Wolverine pourrait dès lors soigner son emballage, enclencher le pilotage automatique, s’en remettre au savoir-faire hollywoodien, comme tant d’autres dans le même genre (Hulk, récemment). Mais non, le film est travaillé par d’autres ambitions, il tient à ses storylines souterraines et ses seconds couteaux fantomatiques. Alors on expédie toutes les scènes à un rythme erratique -l’expérience cathartique de Wolverine, la rivalité avec Dent de Sabre, le projet Weapon X, l’enfance des X-Men-, on les dévitalise à force de les déconnecter. Ils étaient trois derrière la caméra, c’est forcé, pour aboutir à un résultat aussi apulsionnel. Trois qui, incapables de s’accorder sur le film à faire, n’en feront finalement aucun. Oui, c’est d’abord sa production difficile que raconte Wolverine, cette bataille d’intérêts qui a opposé le réalisateur, la star et la Fox et dont le déroulé se lit presque plan après plan : ici une concession, là une coupe, tiens un re-shoot, etc. Exercice ludique, c’est certain, mais qui dit surtout l’inanité d’un projet mort-né : à quoi bon adapter le plus enragé des super-héros si c’était pour le vacciner ?