Pour son premier roman, finaliste du Pulitzer, l’australien Steve Toltz ne recule devant rien avec un récit fleuve qui multiplie rebondissements, surprises et volte-face, et qui mêle saga familiale et voyages intercontinentaux. Son narrateur, un certain Jasper Dean, raconte ses souvenirs, bien sûr, mais surtout la vie de son père, Martin, avec lequel il entretient des rapports (et nourrit des sentiments) pour le moins conflictuels. L’histoire est celle d’une manipulation géante, et propose plusieurs niveaux de lecture : quand Jasper se sent manœuvré par son père, il ignore que leur famille, pour le moins particulière, est elle-même objet d’une manipulation à plus grande échelle, dans laquelle tous ne sont que des pions.
Personnage principal de cet immense cirque, Martin, le père, aimé, adoré, méprisé, haï, philosophe autodidacte qui parfois confine au génie mais qui, le plus souvent, se borne à sombrer dans la paranoïa. Jasper revient sur sa vie, depuis le coma d’enfance qui l’a laissé quasi mort pendant d’interminables mois jusqu’à ses amours adolescentes, puis à sa première rencontre avec le crime. On le voit évoluer aux côtés de son frère Terry, sportif de haut niveau brisé gamin, devenu un voyou en puissance avant d’accéder au titre étrangement enviable et envié de criminel adulé par toute l’Australie le jour où il s’est mis à éliminer un à un tous les sportifs australiens soupçonnés de dopage – dans ce pays, le sport est une religion. Héritier de cette lignée de dingues, Jasper se cherche une histoire qui tienne la route, tout en s’angoissant à l’idée de ressembler à un membre de sa famille.
Toltz nous raconte cette double histoire (Jasper racontant en même tempsla vie de son père qui lui livre ses souvenirs) avec un humour certain, un traitement du récit par l’absurde non dénué de charme, mais également des longueurs. Parfois, souvent même, le texte s’étale sans ordre ni raison, comme s’il fallait à tout prix raconter pour raconter, comme si Toltz avait eu trop de matière, cumulé trop de notes, voulu écrire tous ses livres futurs en une seule fois. Alors on court le monde, de l’Australie à la jungle thaïlandaise en passant par Paris et par d’étranges labyrinthes, d’aventures solitaires en mésaventures ubuesques. Martin qui veut marquer le monde, plus et mieux que son frère ne l’a fait, finira ministre après avoir convaincu un milliardaire de lui donner une chance de mettre au point une technique pour enrichir à terme tous les Australiens. Quand l’affaire s’avèrera être une énorme magouille (ce dont il ignorait tout), il deviendra le personnage le plus honnis de la nation, aussi célèbre enfin que son frère Terry, et prendra la fuite, sans le savoir, vers le destin qui depuis des années l’attendait, tapis dans l’ombre, silencieux.
Le gros écueil du roman, au-delà de son indéniable aspect divertissant, réside dans la platitude du descriptif des personnages. Peu nombreux, ils sont plus souvent des caricatures qu’autre chose. Sans même parler des figures féminines, qui confinent sinon à l’absurde, du moins au ridicule, ceux qu’ils croisent ne sont jamais plausibles. Mis en scène dans un récit qui souvent se répète, ils n’aident en rien à pénétrer l’histoire. En découle un sentiment très net d’empilement, à l’intérieur duquel certaines historiettes peuvent se révéler plutôt agréables, mais qui forme un tout à la longue plutôt poussif, malgré l’apparente virtuosité du style.