Depuis 2003 et Architectural failures (2003), leur premier opus, Hi Red Center nous emmène de l’autre côté du miroir. Avec Assemble, tout juste sorti chez Joyful Noise, les quatre compères new-yorkais nous propulsent dans un monde brillant et coloré où tout n’est que faussement accueillant ; si chez Lewis Carroll les fleurs s’invectivent, chez Hi Red Center, les beaux gosses sont édentés (Toothless beau), et les géants pas si grands que cela (Littlest giant). Dès l’ouverture de l’album – un jeu de déphasage brinquebalant -, le ton est donné : tout peut basculer à tout instant. De chanson en chanson, la logique est joyeusement bousculée, le sens commun mis sens dessus dessous ; à peine un riff est-il esquissé, à peine un backbeat est-il installé, que les quatre garçons font tout exploser dans un joyeux feu d’artifice.
Joyful Noise. Hi Red Center n’aurait pas pu trouver meilleur label. Joyeux, Assemble l’est. Bruitiste, aussi. Gardant un difficile équilibre entre pop bubble-gum et expérimentations noisy, Hi Red Center fait de la musique « pour les gens qui aiment chanter, les gens qui aiment danser », mais surtout pour les gens « qui aiment leurs chansons bien mélangées et concassées ». Le jeu des quatre garçons est ainsi aussi déroutant et ironique que le chat de Chester. Aux claviers, Russell Greenberg fait le grand écart entre lignes de synthés grasses et obstinées, et motifs de vibraphone légers et bondissants ; à la guitare, Thomas Yee, virtuose amateur de distorsion lourde, délaisse parfois ses riffs primitifs pour des solos prog (Trees in a row, Los olvidados) ; à la basse, Lawrence Mesich « allie la frénésie du post-punk à la dextérité du krautrock » ; à la batterie, enfin, Mike McCurdy navigue sans effort apparent de beats métronomiques à la Battles (Littlest giant) à des rythmes flottants et inconfortables (Toothless beau).
Le résultat ? Des chansons toutes de fractures et d’imprévisibilité qui plairont aux amateurs de pop baroque, Hi Red Center empruntant au genre une esthétique de la fugue – les lignes des différents instruments se déroulant et se croisant sans toujours se soucier de cohérence harmonique -, et l’épiçant par un jeu constant sur les contrastes musicaux les plus évidents : de hauteur (superposition de graves et d’aigus), de rythme (juxtaposition de passages très lents et très rapides), de structure (alternance entre passages fortement mesurés et continuums tourmentés). Originalité du mélange, et point d’achoppement de leur précédent opus, les chœurs aériens qui dans Architectural failures manquaient de justesse et de concentration ont été retravaillés pour devenir la véritable marque de fabrique du groupe. Le contraste entre la « section rythmique » (synthé grave et puissant, batterie furieuse) et cette « section harmonique » très aérienne (choeurs, vibraphone) peut ainsi jouer à plein dans les chansons les plus improbables – et, à mon goût, réussies – de l’album (Symetry chameleon, Chicken gorlet).