Roman fleuve, La Coulée de feu est un récit fascinant qui reprend les grandes lignes de l’histoire mexicaine de 1858 à 1890, au rythme des mouvements impliqués sur une frontière mouvante, celle qui partage la terre entre Etats-Unis et Mexique, à l’heure de la construction des deux pays. Valerio Evangelisti, historien, ancien prof d’histoire, maîtrise son sujet (il vit une grande partie du temps dans sa maison de Puerto Escondido, dans le sud du Mexique) et se déplace avec une aisance remarquable parmi les différentes factions qui luttent sur une zone immense, entre révoltes et guérillas, dictature et indépendance. Surtout, il parvient à capter l’attention de son lecteur durablement, alors même que le sujet est ardu (relativement mal connu pour un européen) et particulièrement dense. Sa recette est à la fois la plus simple, et la plus difficile à appliquer : créer une galerie de portraits plus vrais que nature, dont il entrelace les destinées et qu’il fait se croiser avec les grands du monde et les incontournables politiques de l’époque.
Tout commence à Brownsville, Texas, où cohabitent plus ou moins difficilement indiens, mexicains, noirs et « anglos ». Sur le Rio Bravo pour les uns, le Rio Grande pour les autres, la colère gronde. Elle ne retombera pas. Résumer l’histoire ? Impossible. Les noms des principaux acteurs sont connus, bien sûr : Benito Juarez, qui deviendra président après la chute de l’empereur Maximilien, et Porfirio Diaz, le dictateur qui prend Mexico en 1876 et s’installe pour 30 années de règne sans partage. Mais si c’est bien à leur ascension qu’on assiste, ils ne sont pas le cœur du texte, qui s’occupe plutôt des seconds rôles anonymes qui œuvrent dans l’ombre, soit à leur propre gloire (la veuve Gillepsie et ses ambitions démesurées en est le meilleur exemple, mais le tueur William Henry n’est pas en reste), soit à l’avènement d’un Mexique plus juste (Christine, la fille Gillepsie, amoureuse d’un bandit mexicain ; Margarita qu’on découvre gamine amoureuse dans les premières pages et qu’on retrouve révolutionnaire ; Heraclios le guerilleros…).
On assiste ainsi à la naissance du Mexique en tant que Nation, au moment où l’Europe voit mourir ses dernières bribes d’influence. Shelby, le général sudiste, déclare avec emphase : « Cette terre du Texas que nous foulons, à une époque, faisait partie d’une entité imprécise appelée le Mexique. Maintenant, elle nous appartient. Eh bien, passé le Rio Grande il y a un autre Mexique ». Dans une lutte sans merci pour le pouvoir, tout est flou, mouvant, les alliances se croisent. Il faut se laisser porter, quitte à revenir, à la fin, sur la carte et la chronologie proposées (tout de même) par l’auteur. Et garder en mémoire ces mots de Justo Sierra, journaliste, écrivain, politique mexicain, placés en exergue : « Il n’est rien de plus dangereux pour un peuple d’Amérique que l’amour désintéressé des Etats-Unis. Leur protection est une coulée de feu ».