Malgré son succès difficile à évaluer, le jeu vidéo sur téléphone portable a rarement su convaincre. De la rapide sidération des débuts (comme un vieux rêve qui en se réalisant tombe de haut devant la réalité), au flop retentissant et prévisible du N Gage de Nokia, rien pour titiller le gamer habitué aux consoles. Longtemps limité par la technique et l’ergonomie des téléphones, le jeu sur mobile semblait condamné à rester un amuse-gueule. Et puis Apple a dégainé son iPhone. Véritable petit bijou d’électronique qui avec son App Store a su offrir une plate-forme simple, rapide, efficace, peu coûteuse, où télécharger quantité de jeux gratuits et payants. Un double exploit pour la firme californienne : démocratiser massivement ce qui en occident restait relativement confidentiel, cher ou parfois laborieux (trouver le jeu fonctionnant sur le bon mobile), tout en offrant une machine qui techniquement rivalise avec les portables de Nintendo et Sony. A une exception près : ce fameux écran tactile, invention aussi vertigineuse que limitée lorsqu’on passe aux choses sérieuses. En dépit de ce détail (souvent gênant), il faut reconnaître que ça marche : les éditeurs petits et grands accours, le succès est conséquent, voire fulgurant, et les jeux abondent. Evidemment beaucoup de déchets et pas mal de concepts connus mal adaptés à l’ergonomie de l’iPhone (Megaman man 2 et son stick virtuel). Mais déjà, en marge de quelques adaptations sympathiques (Katamari damacy, Super monkey ball, Crayon physics), des jeux originaux et réussis comme Edge, Flight control, Touchgrind, Zen bound, imposent cette certitude : le joujou d’Apple ne concurrencera pas les consoles portables nippones, mais son potentiel est réel. On tient sans doute le premier objet multi-usage à aussi savoir faire du jeu vidéo.
Difficile donc de laisser plus longtemps ces jeux dans l’ombre sans y apporter un éclairage. Si les japonais jouent depuis longtemps sur mobile, à des jeux au succès croissant et massif, on a le sentiment qu’ici, avant l’iPhone, c’était un peu l’anarchie. Des versions pas très sexy de Call of duty et Assassin’s creed côtoyant un peu tout et n’importe quoi dans les tuyaux de Gameloft. Apple et sa politique de service ont ce mérite d’avoir tout centralisé, on y voit plus clair. Et les éditeurs aussi, qui profitent de cette brèche et manne providentielle sans hésiter, pour le meilleur et pour le pire. On se souvient ainsi de cette petite annonce, publiée sur le site de Kojima Productions : un énigmatique rébus de logos verts rappelant furieusement la Xbox360 et rattaché à MGS. Certains espéraient voir le trésor de Sony s’envoler enfin du côté de chez Microsoft. La bonne blague. Après une certaine agitation sur les forums, Kojima finit par lâcher le morceau : son bébé débarque sur iPhone (et iPod Touch). Pas la première fois que notre gourou s’essaie au mobile : MGS existe sur N Gage et Nokia Nseries dans une version proche de l’original, les versions Acid également. Pourtant, intense déception des gamers, lâchant des « à quoi bon ? » blasés ou agacés, comme si l’on avait commis un crime de haute trahison. Ils n’ont pas tout-à-fait tort : « à quoi bon », en effet, MGS sur iPhone, qui plus est la dernière mouture ? Car aussi improbable que cela puisse paraitre, Kojima adapte bien MGS 4, sa grande tragédie digitale et crépusculaire. Fatalement, Metal gear solid touch – de son petit nom – n’a plus grand chose à voir avec son pendant high tech sur PS3. Adieu longues cinématiques sublimes et soporifiques (au choix), à la huche l’infiltration d’antan, à la benne le moteur 3D. MGS touch se la joue old school. Soit une manière, un peu paresseuse, de profiter du succès récent des jeux iPhone sans oser le pari de l’originalité (la tendance lourde). Tout en recyclant une licence juteuse dont le succès est avéré.
Grosso modo, MGS touch nous fait revenir vingt ans en arrière, au bas mot. Conscient que le gameplay légendaire de son jeu semble a priori impraticable avec l’ergonomie de l’iPhone, Kojima fait profil bas en reprenant le schéma d’un bon vieux shoot à la Time crisis (également disponible sur ce support, et franchement nul). En fait non. On est au final moins proche de la formule classique made in Namco, que de ces jeux de tirs façon Prohibition sur Atari ST (le seul qui nous revienne en mémoire, il y en a sans doute eu d’autres). Difficile donc de faire plus forain, MGS touch étant un équivalent du tir à la carabine auquel on s’adonne pour offrir un gros nounours à sa copine. Seul devant notre iPhone, coupable d’une curiosité sans doute excessive pour tout ce que peut pondre Kojima, on passe ainsi son temps à faire jaillir l’ami Snake comme un coucou pour dézinguer des ennemis immobiles. Un doigt pour déplacer le réticule et tirer, deux pour zoomer et passer au sniper. Pas mal, efficace. Le tout devant des screens fixes reprenant les environnements du jeu sur PS3, ainsi que ses boss, histoire de pimenter un gameplay qui, admettons-le, est parfaitement contradictoire avec celui de toute la série.
Si le jeu demande tout de même dextérité et rapidité, l’expérience est limitée et courte (on imagine mal 10 heures de shoot sur un mobile). Le plus curieux, c’est la façon dont Kojima se refuse à abandonner son scénario, y revenant régulièrement à travers de gros blocs de textes, pour faire une grande synthèse elliptique de l’intrigue originale. Sans intérêt, autant pour les néophytes que pour les fans les plus hardcore de Kojima. Alors oui, « à quoi bon » ce shoot basique ? On frôle en effet l’opportunisme. D’un côté pour ce gameplay daté servant de fausse excuse : simili réactualisation d’un genre, appliqué à l’écran multitouch de l’iPhone. Ce qui ne fait qu’explorer à minima ses possibilités ; décevant de la part d’un game designer se vantant sans cesse de tutoyer l’impossible. De l’autre, flemme encore, pour cette adaptation surfant sur la mode de ces shoot spin off inspirés de grandes licences (Zelda crossbow, Resident evil : umbrella chronicles). En clair, Kojima ne s’est pas foulé. Surtout lorsqu’on se penche sur la production japonaise dédiée aux mobiles. Des jeux généralement plus riches, parfois plus ambitieux, ne se pliant pas nécessairement à cette fausse bonne politique voulant qu’un jeu sur téléphone portable doive se limiter à des parties rapides au gameplay fast-food. Le potentiel de l’iPhone en matière de jeux est évident, mais il ne faut visiblement pas compter sur l’un des plus grands game designer de la planète pour révéler ses capacités.