Niché haut dans des mélopées low-fi mais catchy, le joueur doit ici faire fi de l’absurdité des minijeux et battre la mesure sur l’écran tactile. Un Wario ware musical ? Pari audacieux mais salvateur, pour une industrie du rhythm game qui macère dans la repompe, les convenances et l’ennui. Derrière ce projet, Nintendo R&D1, un studio qui n’en est pas à son premier pied de nez.
Rhythm paradise est un mélomane mégalomane : sous ses abords foutraques, il veut remettre de l’ordre dans le genre des jeux de musique, et rebâtir, excusez du peu, rien moins qu’un gameplay entier, avec ses variantes, sa gymnastique, son élasticité. Reproduire une séquence, battre la mesure au bon moment, conclure un enchaînement de percussion, ou s’intégrer dans une ligne de chant : les recettes du jeu varient d’une épreuve à l’autre. Parfois elles se juxtaposent, d’autres fois elles se combinent ; mais toujours, elles prennent le joueur à contre-pied. Ainsi de ce minijeu de combat spatial, hommage jouable à Space invaders et ses pairs, mais qui l’emmène sur le terrain improbable d’un gimmick electro rock entêtant. La vue cabine donne la traîtresse impression de pouvoir viser les envahisseurs qui apparaissent. Que nenni : il faut reproduire à l’identique la boîte à rythme qui accompagne leur arrivée, pour les éliminer un à un.
Ce n’est pas la première fois que Nintendo R&D1 donne à redécouvrir une Madeleine de Proust du jeu vidéo à travers un gameplay décalé. Déjà dans Wario ware, le stage de « 9-volt » permettait de redécouvrir les classiques de l’éditeur japonais sous une forme minimaliste (écraser le tout premier Goomba de Super Mario Bros, esquiver un baril dans Donkey Kong, compléter une ligne de pilules dans Dr Mario, etc.), voire sous une forme revisitée (tirer au canard via une mire immobile dans Duck hunt, éviter les bolides concurrents à F-Zero, ou encore, dans Wario ware twisted, redécouvrir sous une forme sphérique le premier niveau de Super Mario Bros). Revisiter les jeux de musique n’est qu’une nouvelle étape dans le parcours de ce studio japonais encore sous-médiatisé, mais déjà passé, en quelques années, du rang de fonctionnaires du jeu de plate-forme, à celui de spectaculaire usine à idées.
Le nom même de Nintendo R&D1 (pour « Research & Development ») apparente le studio à une cellule d’expérimentation. A la vérité, elle n’a pas toujours été aussi fofolle. Mario land, Wario land, Pokémon, Metroid zero mission… La team R&D1 s’est longtemps spécialisée dans la conjugaison de licences Nintendo, généralement sur Game Boy Advance. Son directeur de division n’est autre que Yoshio Sakomoto, tête pensante de Metroid depuis 1986, un vieux singe à qui on ne la fait plus. Du moins, pas devant lui. Car Wario ware, qui a véritablement révélé le studio en 2003, a d’abord été un projet clandestin, développé à l’insu de Sakomoto. Il s’agissait alors du prolongement secret et inattendu de Mario artist : Polygon studio, un logiciel de dessin en 3D assisté, sorti en 2000 au Japon sur le module d’extension disque de la Nintendo 64, le DD64. « Un mode de jeu permettait de se détendre avec des minijeux en enfilade : c’est de là qu’est partie l’idée de Wario ware », raconte Goro Abe, alors gamedesigner sur Wario land advance, et qui a depuis été promu Chief Director sur Wario ware smooth moves. Dans ce studio jusque-là sans histoire, la série a apporté une méthode de travail participative et foutraque. Le contenu du jeu est proposé par les différents employés de l’immeuble, qui remplissent le mur en face du directeur de studio avec leurs suggestions sur des post-its. « Quand on a débuté le projet, chacun voulait avoir la meilleure idée de minijeu, s’en amuse Sakomoto. C’est comme si il y avait une compétition pour avoir le jeu le plus étrange ». Ou comment foutre en l’air une réputation de studio sérieux…
Du principal gamedesigner de Rhythm paradise, Kazuyoshi Osawa, on ne sait en revanche que peu de choses, si ce n’est qu’il a débuté comme programmeur sur Pokémon Or et Argent en 1999, et s’est fait connaître en interne pour sa créativité. « Chaque fois qu’Oswa-san met quelque chose au point, c’est toujours quelque chose de complètement nouveau, assure l’un des membres de son équipe. C’est là l’intérêt ». Mais l’homme s’exprime peu, même au sein de Nintendo R&D1. « Quand je vois Osawa-san créer des jeux, je ressens cette impression de mystère, de profondeur et d’intelligence au service de la création de jeux vidéo », poétise même Iwata, président de Nintendo. Il n’empêche que de son perfectionnisme pathologique, les collaborateurs disent ne percevoir que l’angoisse et le défaitisme, au point que son équipe de joyeux luron aurait pris l’habitude de lui envoyer chaque matin des chattons par e-mail, pour le remettre en joie !
Drôle de tête pensante, pour un jeu aussi enjoué que Rhythm paradise. Et pourtant, du jeu de rythme de Nintendo, rien ne transparaît d’autre que la créativité. Car comme son illustre et non moins débile aîné, le nouveau jeu de Nintendo R&D1 pue le jus de cerveau essoré. Dans ses couleurs (tour à tour primaires, noir et blanc, ou encore association gris et vert fluo), ses thématiques absurdes (fanclub de singe, robots danseurs, oies au garde-à-vous), ses clins-d’yeux référentiels (jeu de ping-pong, shoot’em up), etc., Rhythm paradise évoque un cadavre exquis du jeu vidéo. Etrange grammaire : habillage graphique, musique et gameplay s’y télescopent avec désinvolture, donnant lieu à d’improbables séquences de jeu. Dans l’une, des statues de l’île de Pacques sortent de terre pour chanter en canon. Dans l’autre, un public de singes mélomanes réalise une danse collective de soutien, à un concert leur chanteuse pop préférée. Déjà dans le premier épisode (Rythm tengoku, sorti sur GBA en 2005, au Japon uniquement), un pot de fleur crachait une balle de baseball au batteur posté à ses côtés ; tandis qu’une pince à épiler effectuait des vas-et-viens en demi-cercle autour d’un oignon moustachu, prêt à saisir le premier poil de menton venu.
Rhythm paradise est un « Rythm Kamasutra » : un art de jouer, lointain, doucement fou et secret. Son look, son humour, son équipe, son développement, sa structure et sa philosophie le rattachent évidemment à WarioWare. Mais au-delà des passerelles entre les deux séries, il est surtout, à l’heure où Nintendo vient d’annoncer un Super Mario galaxy 2 prévisible, un Golden sun DS sépulcral, et un Wii Sensor sinistre de sérieux, la preuve que l’éditeur japonais reste, en sous-sol, l’un des leaders du développement indé. Fut-ce à son insu, ou sur le tard, via un studio ironiquement baptisé Nintendo Research & Development.
Ce typhon à idées est en même temps un typhon à convenances, capable de balayer les vieilles branches sclérosées du genre, et d’opposer aux vergetures des Guitar hero-like sa fraîcheur et sa folie insistantes. Nintendo corrige Activision et EA sur leur créneau du jeu musical. Reste à attendre, riard, que Neversoft et Harmonix réveillent la plate-forme avec autant d’insolence.