Actualité double pour le pianiste anglais John Taylor, en trio d’une part (Whirlpool), en solo de l’autre (Phases). Côté pile, donc, l’auteur du fameux Rosslyn (en 2002 et en trio avec Johnson et Baron, la rythmique « de coeur » d’Enrico Pieranunzi) marche dans les pas des trios impressionnistes post-evansiens avec Whirlpool (rien que le titre, ajouté à la pochette tirée d’une peinture de Heather Niven, dit déjà l’ambiance liquide, les couleurs aquatiques, le trouble des repères), enregistré avec Martin France (batterie) et le vétéran scandinave Palle Danielsson (basse), ses compagnons, déjà, dans Angel of the presence. Trois thèmes de l’omniprésent Kenny Wheeler, trois autres de Taylor lui-même, In the bleak midwinter (chant de Noël de Gustav Holst) et, signe evansien supplémentaire, I loves you Porgy de Gerschwin forment le répertoire de ce disque cristallin, savant et troublant, qu’on gagne à écouter sur un matériel de qualité (remarque qu’on fait peut-être souvent dans ces colonnes, mais qui ici n’est pas injustifiée – d’abord parce que la prise de son est remarquable, ensuite et surtout parce que chaque nuance compte ici), et qui rappellent irrésistiblement, donc, l’art d’un Bill Evans, mais avec une sorte de romantisme plus froid, plus distant, plus pudique peut-être (si la chose est possible). Un magnifique album en tous cas, qui confirme, si besoin était, la stature de ce musicien discret mais précieux.
Côté face, on le retrouve en solo, exercice dans lequel on le connaît déjà bien et qu’il semble pratiquer avec de plus en plus de plaisir puisque Phases vient après Solo sentemo (1992) et, surtout, après une triplette d’album récents : Insight (2003), Songs & variations (2005) et Angel of the presence (2006). La richesse harmonique de ses compositions, leur clarté mélancolique, parfois, et la délicatesse sobre de son interprétation, ont contribué à donner au natif de Manchester l’image d’un musicien raffiné, discret, difficile peut-être ; ici, au gré d’un parcours rythmé par les quatre saisons (Spring au début du disque, puis Summer, Automn et Winter en quasi-conclusion), on semble osciller entre un pôle froid et un autre plus chaud, si l’on peut s’exprimer ainsi, avec d’un côté des morceaux ambigus, géométriques, très inspirés par la musique classique européenne du vingtième siècle (Ritual, avec son introduction en forts accords plaqués comme des coups donnés dans une pierre pour la tailler dans une forme étrange), de l’autre des thèmes plus directs, lisibles, presque chaleureux (Fedora, emprunté à Kenny Wheeler – c’est la seule reprise). Phases est de ces disques exigeants qu’on apprend à aimer en les réécoutant, et qui ne dévoilent leurs charmes qu’avec lenteur, à ceux qui veulent bien chercher. Mais la même conclusion s’impose que pour Whirlpool, comme on s’en doute : magnifique album, une fois de plus.