Dur dur, de bosser pour des nerds. A peine votre jeu a-t-il été lâché entre leurs petites mains avides qu’ils entreprennent de le triturer pour réduire vos efforts à néant. L’anecdote est connue, mais c’est comme ça qu’est né le combo dans Street fighter II : durant la phase de développement, le producteur Yoshiki Okamoto avait choisi de conserver un bug permettant des enchaînements dévastateurs, persuadé que personne ne parviendrait jamais à le reproduire. Le pauvre apprit à ses dépends qu’il ne faut jamais parier contre ses utilisateurs. On serait donc tenté de comparer le développement des jeux de combat a une course de fond, tant leur équilibrage tient de l’impossible casse-tête. Ajuster les forces et les faiblesses d’une dizaine de combattants est un travail de longue haleine qui s’effectue à mesure que les joueurs exploitent les spécificités de leur personnage. Et si certains titres comme Garou Mark of the Wolves impressionnent par leur maîtrise instantanée, il est rare qu’une série touche au but dès sa première incarnation. Comme 3rd strike ou Zero 3, Super street fighter II turbo marque la fin d’une époque pour Street fighter, l’apogée de la série originale. Le temps n’a pas su entamer son incroyable popularité, si bien qu’il est encore pratiqué en tournoi, 15 ans après sa sortie. Toutefois, si tout le monde s’accorde à voir en Super Turbo un titre solide, des années de compétition auront fini par épuiser tous ses secrets. Dès lors, l’objectif de cette nouvelle version était très simple : rendre au titre sa virginité, ramener un peu de mystère dans ce titre qui n’offrait plus rien à découvrir.
En ce sens, Super street fighter II turbo HD remix fait figure de reboot du titre original. Les développeurs ne se sont pas contenté d’une refonte graphique mais ont plongé les mains dans le cambouis pour modifier les propriétés des coups ou des attaques spéciales. Ce travail d’orfèvre, on le doit à David Sirlin, une figure connue de la scène SFII outre-Atlantique qui a convié la crème des combattants américains à une longue phase de test et de réglage. Tous les personnages ont fait l’objet de modifications et certains coups n’ont plus rien à voir avec leur version d’origine. Le Spinning Bird Kick de Chun Li propose désormais une trajectoire en cloche, l’arc du Flash Kick a été modifié et la fusée de Honda permet de traverser les boules… Il s’agit parfois d’une simple feinte, comme la fausse boule de feu de Ryu, mais il n’est pas un combattant qui n’ait fait l’objet d’un changement, même mineur, à son arsenal. HDR fait finalement l’inverse de ce qu’entreprenait, dix ans plus tôt, la Rainbow Edition. Les anciens joueurs d’arcade se souviennent certainement de ces versions pirates qui avaient pris les salles d’assaut peu après la sortie de Street fighter II. Ces bootlegs asiatiques capitalisaient sur la popularité de Street fighter II pour en livrer une interprétation abusive, presque un jeu de super héros, entre les Screw Pile Driver qui chopaient à l’autre bout de l’écran et les Hadoken à la trajectoire sinusoïdale. Mais là où la Rainbow livrait une relecture spectaculaire et raccoleuse de Street fighter II, ce nouvel épisode traque les zones d’ombre du système de combat et graisse la mécanique de jeu pour combler les maigres différences de niveau entre les personnages. Fatalement, ce travail minutieux ne parlera qu’aux spécialistes. Mais le jeu n’oublie pas pour autant de s’adresser aux débutants en proposant une maniabilité simplifiée.
Il faut dire que Sirlin possède une marotte, une vision presque, qu’il ressasse à travers son blog comme tout bon illuminé. Pour cet habitué des tournois, un joueur de bas niveau ne devrait pas perdre contre un expert parce qu’il n’a pas su effectuer une manipulation complexe, mais parce qu’il a choisi le mauvais coup au mauvais moment. Sirlin voit le jeu de combat comme une joute d’esprits qui implique d’analyser en temps réel les choix de l’adversaire pour contrer sa stratégie. Dans cette optique, il a voulu simplifier certaines manipulations pour les rendre accessibles aux joueurs moins talentueux. Il n’en fallait pas plus pour provoquer un tollé. Car certains coups spéciaux sont tellement spécifiques qu’ils deviennent indissociables de leur personnage. Le Raging Storm de Geese Howard, le boss original de Fatal Fury, est un exemple parfait de coup à l’exécution étrange (on parlera de « manipulation en bretzel »). Si aucun mouvement de Super Turbo ne peut prétendre à une telle aura – Super d’Akuma mis à part – nombre d’esprits chagrins ont protesté en voyant que le 360 du Screw Pile Driver de Zangief pouvait être réalisé avec un simple demi cercle + direction. La fronde était infondée, puisque l’ancienne manipulation est toujours présente, mais elle illustre bien le conservatisme farouche d’une partie des joueurs qui font passer l’exécution avant toute autre qualité (talent d’improvisation, connaissance théorique du jeu, capacité à supporter la pression). Au final, cette nouvelle maniabilité remplit son rôle à merveille. Certains coups spéciaux comme le SUPER de Guile ou de Vega sont grandement facilités par les nouvelles commandes et l’approche de Sirlin s’avère tout à fait légitime.
Alors, HDR, un jeu parfait ? Las, non. Pour commencer, le titre fait les frais d’un ravalement de façade assez malheureux. Si certains sprites passent plutôt bien à l’écran (Sagat, Vega), d’autres sont tout bonnement atroces (Cammy, le nouveau visage de l’horreur) et les décors ressemblent parfois à de mauvais montages Photoshop (Dhalsim). Dépourvu de l’unité esthétique qui faisait la force de l’original, écrasé par le rouleau compresseur Street fighter IV, HDR restera la marotte de quelques initiés. On ne peut que s’en désoler, d’autant que son style direct et dépouillé est largement plus à même d’enseigner les bases du jeu de combat que le mic-mac des mécaniques de SFIV. Gérer l’espace et les distances, connaître les propriétés de ses coups, apprendre à contrer les chopes ou à placer ses reversals sont autant de connaissances nécessaires pour comprendre la pratique un jeu de combat. Soutenu par un réseau de bonne facture (très peu de lag avec une bonne connexion) et un système de lobbies et de tournoi irréprochable, HDR s’impose comme la meilleure introduction à ce genre occulte. Rien de flashy ou de clinquant, mais un modèle de solidité qui prouve, si besoin était, que certains titres sont immortels.