Voici quelques mois, Thomas Clerc publiait Intérieur, roman-concept qui consistait en une visite méticuleuse et exhaustive de son petit appartement parisien. Sur un mode à première vue comparable, Jean-Jacques Salgon propose aujourd’hui Place de l’Oie, récit structuré autour d’une visite de sa vieille maison des Vans, en Ardèche, du couloir de l’entrée à la mezzanine, deux étages plus haut. Mais les similitudes ne vont guère plus loin : autant le roman de Thomas Clerc était parisien, urbain, sonore, tourné vers le présent, avec une sorte de performance romanesque à la clef (celle, précisément, d’arriver à écrire un vrai roman d’intérieur en se tenant obstinément à son programme), autant le récit de Jean-Jacques Salgon est provincial, nostalgique, silencieux, tourné vers le passé, avec une mythologie des lieux de mémoire et du souvenir qui transpire des lieux et des objets.
« La maison, dit-il, c’est aussi l’endroit qui favorise la remémoration, par cette sorte de neutralisation de l’état d’alerte permanente dans lequel, au contraire, le voyage ou la vie extérieure nous plongent. Dans la maison, les choses du dehors et le temps passé peuvent faire retour, souvent métamorphosées par le séjour plus ou moins long qu’elles ont fait dans notre mémoire ». Et tandis que Clerc se donnait pour tâche de coller à la réalité sensible de son environnement, en s’empêchant la dérive, Salgon fait précisément l’inverse, chaque pièce, chaque cadre au mur, chaque guéridon dans un coin fournissant chez lui le prétexte à un souvenir de voyage (l’Afrique, l’Asie), à l’exposé d’un épisode du passé (l’enfance, les années 1970 à Paris), à une anecdote plus ou moins lointaine, dans le temps (les enfants de François Ier) ou dans l’espace (la cosmologie et l’univers en expansion).
Plein de coq-à-l’âne (c’est son principe même), de digressions, ce livre marabout-de-ficelle possède à la fois une odeur de renfermé charmante (vieilles pièces, vieilles pierres, vieux bibelots aimés : « Si je pouvais, confesse l’auteur, je servirai volontiers une salade dans une céramique sigillée gallo-romaine ») et un réel souffle d’air exotique (destinations lointaines, souvenirs ensoleillés) ; dans un style parfait, il se présente au fond comme une réflexion sur l’intérieur et l’extérieur, là où nous habitons et ce qui nous habite. « J’ai décoré ma maison comme on écrit un livre », conclut Salgon, et on suppose que l’aveu est réversible : il a écrit son livre comme on décore une maison, « simplement pour tenter de rendre une vie habitable, pour tenter d’habiter une vie qui sans cesse fuyait ».