Courte mail-interview du leader des Red Krayola, Mayo Thompson, de Paris à Chicago. On a essayé de rendre justice à l’anglais lettré de Mayo, plein de jeux de mots, de nuances et d’allitérations. On vous enjoint surtout à lire ses textes et écouter ses chansons.
Chronic’art : Sachant que les Red Krayola n’ont jamais vraiment été un groupe mainstream, produisant des « hits » pour les charts, le titre de cette compilation, Singles, sonne un peu ironique… Comment est venue cette idée de compilation ?
Mayo Thompson : Nous aimons le discours autour du 7-inch, -les « hits »-, l’immédiateté et la commodité des deux faces uniques… « Charts » mis à part, ces titres « manquaient » et nous en restons responsables. Nous les avons mis ensemble parce qu’ils avaient perdu leur fonction de repères temporels, étaient plutôt devenus des artefacts, des objets de collectionneurs. C’est intéressant de voir comment ils s’informent entre eux. En une série, ils fonctionnent un peu différemment que s’ils avaient été les chansons typiques d’un « album ». Ensemble, ils ont quelque chose d’un paquet de lettres mortes destinées à autant de mondes possibles…
Vous pensez que cette compilation est une bonne représentation de l’histoire des Red Krayola, et peut-être plus, de l’histoire de la pop-music des 60’s à 2004 ? Quel point de vue sur cette histoire pensez-vous que Singles puisse donner ?
Le sens que donne le groupe à chaque chanson est à chaque fois virtuel -les attitudes et les cibles reflétées dans les textes des chansons et les effets musicaux sont suggestifs de l’état des « affaires », de l’état de l’art, peut-être même de l’état de la nature sur tout le dernier tiers du XXe siècle, et un peu après. Mais toute rétrospective du même genre refléterait semblable « histoire » dans ce sens. Toutefois, ce serait amusant en effet de repenser le passé et de considérer le présent à travers notre relation tendancieuse à la l’alchimie des tonalités et aux formes –psychedelica, punkiana, discovillagery, pure poppaloppa, fun funk, yatts, protestological, spear the mental, da classix, etc.
La specificité des Red Krayola pendant ces 40 années pourrait être la « self-distance », la retenue exprimée devant les codes pop-rock. Vous ne les avez jamais utilisé comme des formes manipulatoires, mais toujours avec un point de vue « critique », dans votre façon de produire de la musique. Que pensez-vous de la pop music dorénavant ? Quelle serait la part d’une telle critique dans la musique d’aujourd’hui ?
La pop music d’aujourd’hui -et celle d’hier, du jour d’avant, etc.- est une compétition d’idées. J’ai tendance à trop écouter de choses mais, comme tout le monde, j’entends ce qu’attrapent mes oreilles. J’apprécie toutes les formes de musique, mais j’admets ne pas toujours apprécier quand, où, quoi ou comment… Récemment, j’ai goûté particulièrement Mstislav Rostropovich jouer du Bach (d’ailleurs, avez-vous remarqué combien lui et le vice-président américain Dick Cheney se ressemblent ?). Pour ce qui est d’être un musicien critique…
J’ai lu récemment une interview de El Chocolate, le grand chanteur de Flamenco. Quand on lui a demandé s’il essayait d’être un meilleur musicien, il a répondu non, mais il a dit aussi qu’il essayait d’être une meilleure personne. Amen, Awomen.
Vous avez été impliqué dans le groupe Art & Language. La musique est aujourd’hui de plus en liée à l’art et à ses institutions : le « sound art », les artistes qui deviennet des pop-stars… Qu’en pensez-vous ? Quel lien feriez vous entre musique et art contemporain ?
Les liens peuvent être bons, mais je préfère les noeuds.
Quelle importance donnez-vous encore à la politique dans votre travail ? Quel est l’importance des textes dans cette dimension politique ? Que pensez-vous des chansons « à messages », ou du hip-hop, par exemple ?
La dimension politique confirme pour nous le domaine d’expression. Pour nous, les textes ont été une clé, leur contenu suprême -ce qui est représenté est déterminant quand il vient à manipuler des formes symboliques. Il y a du très bon hip-hop : des arrangements novateurs, des rapports plein de vérité, des expressions animées…
Que faites-vous quand vous ne faites pas de musique ? Quels sont les projets des Red Krayola ? Comment décidez-vous si un nouvel album doit être conçu et avec qui ? Pouvez-vous nous parler de votre conception du « groupe » ?
Parmi ceux d’entre nous qui sont les plus actifs en ce moment, George Hurley est très occupé. Avec Mike Watt, il récemment joué des chansons des Minutemen, mais sans chant. Le groupe de Tom Watson (Tom Watson And The Best Of All) fait des concerts, David Grubbs est occupé à tourner et enregistrer, Stephen Prina donne des cours d’arts plastiques à Harvard, Albert Oehlen est artiste et professeur à l’académie de Dussedorf. Je suis membre enseignant de Art College of Design de Pasadena, je travaille sur notre opéra, « Victorine », et suis sur le point d’achever mon second album solo. Nous travaillons pour un nouvel album et jouons ces jours-ci à Chicago et New York. Prendre des décisions à propos d’un nouvel album dépend de tellement facteurs… Parfois ça part d’une étincelle, parfois c’est une accumulation. Le cours des événements joue aussi un rôle dans la décision de qui va jouer sur l’album. En conséquence, peut-être que notre groupe est plus compréhensible en tant qu’entité flexible dirigée par les impulsions nées de la musique, que nous ne pouvons nous empêcher de produire. Elle est instrumentale, dans toutes nos pensées comme dans les arrangements.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Singles.
Voir également l’excellente interview parue sur RichieUnterberger.com