La version longue de Very Bad Cops (peut-être la meilleure comédie d’Adam McKay) contenait une scène improbable, surgie comme un couac dans le récit et retirée à juste titre du montage exploité en salles. On y voyait la star du base-ball Derek Jeter, sujet d’un running gag désopilant, adresser un long monologue à l’adresse de Wall Street face aux mines incrédules du tandem Will Ferrell/Mark Wahlberg. The Big Short s’en tient à ce principe rudimentaire : dresser tout un bestiaire hollywoodien (Gosling, Carrell, Bale, Pitt) à débiter des tirades édifiantes contre les manipulations des banksters aux crocs acérés. Son arme de choix : une pédagogie au marteau, vouée à ouvrir les yeux du public en explicitant les calculs abscons de ces boursicoteurs prescients qui, des années avant la crise des subprimes, avaient anticipé l’explosion de la bulle immobilière et trouvé moyen d’en tirer profit.
Cette marotte n’est pas nouvelle chez McKay : Very Bad Cops avait ainsi pour toile de fond une satire anti-Bernie Madoff, et s’achevait par un générique égrenant toutes les magouilles des loups de la finance. Et c’est bien parce qu’il avait su nouer habilement cette obsession-là à ses portraits de weirdos enfantés par l’Amérique de Bush (Ricky Bobby en tête), qu’on lui en veut de s’en tenir aujourd’hui à ce long cours d’économétrie. Si on retrouve son style, ce n’est qu’au travers des citations de figures politiques ou intellectuelles intercalées à tout-bout-de-champ, là où ses précédents films se contentaient d’un carton pré-générique. Le cinéma se fait de toute manière battre à plate couture, ici, par la rhétorique faite Michael Moore : en passant en revue les chapitres les plus rébarbatifs de cet épais dossier, McKay se contente de flatter paresseusement l’indigné ordinaire, confit dans sa haine des patrons et trop heureux de voir les salauds de riches flamber sur le bûcher. Le plus consternant étant cette entreprise de vulgarisation, à grands renforts d’adresses face-caméra : on verra tour à tour Gosling, Margot Robbie ou même Selena Gomez, grotesques, réciter sans trop les comprendre leurs petites imprécations ironiques contre la folle danse des taux de crédits. Il y a quelque chose d’à la fois ironique et vertigineux à voir une égérie Disney Channel ou un vétéran du Club Mickey se fendre de mises en garde contre les puissants qui nous spolient.
C’est hélas lorsqu’il abandonne ce didactisme littéral et risque quelques propositions de mise en scène, que McKay trouve du pétrole. On le sent bien décidé à filmer le monde de la finance comme un château de cartes tenant debout grâce à une forme de débilité globale. Doublement enhardis par leur bêtise abyssale et par l’appât du gain, les apprentis sorciers de Wall Street deviennent des super-héros (ou des braqueurs de choc, comme le suggère le titre) : c’est en gros l’idée, rabâchée vaille que vaille par les gesticulations constipées de ce casting 5 étoiles (seul Steve Carrell, tout en moumoute, s’en tire à peu près dignement). Soit une grande réinvention de l’eau chaude qui, surtout après l’éminemment supérieur Loup de Wall Street, n’éblouira pas grand-monde.
C’est clair ! Le film est très didactique — la crise des subprimes pour les nuls. Mais il n’a aucun intérêt stylistique.
Visuellement, c’est du bonheur