Du Total Recall reconfiguré l’an dernier à ce RoboCop next-gen, Hollywood semble piqué d’une même lubie : stériliser l’oeuvre de Paul Verhoeven, l’enfant terrible réduit au silence puis retourné au pays (Black Book). Deux raisons, à bien y réfléchir, justifient une pareille opération. La première est économique et éternelle : remplir les caisses, en aspergeant de spray numérique bon marché deux succès cultes. Moins opportuniste, la seconde est aussi plus clairement idéologique : faire acte de pénitence — comme si Hollywood se repentait d’avoir laissé son chien fou aboyer trop fort du haut de ses collines, et préférait étouffer ses derniers échos de lyrisme anar et grinçant.
Avec Total Recall, la singulière stratégie consistait à confier le reboot d’un chef-d’oeuvre bizarre au tâcheron le moins prometteur de sa génération : Len Wiseman. Multirécidiviste (Underworld, Die Hard), celui-ci s’en tirait pourtant avec les honneurs, purifiant le blockbuster freak au tamis d’une direction artistique dépressive, qui empruntait autant à Blade Runner qu’à Minority Report (autres tubercules du généreux viatique dickien). Insignifiantes mais parfaitement digestes, ces Mémoires programmées se contentaient de bondir modestement de course poursuite en gun fight, sur les crêtes d’un script avant tout soucieux de limpidité, substituant au labyrinthe parano de l’original un éloge premier degré (donc parfaitement hypocrite) de l’amour et de la révolution.
Autre tactique pour RoboCop, dont les manettes ont été refilées à José Padilha, sous-Friedkin biberonné au docu-choc, porté au pinacle contre toute raison sérieuse grâce à un GTA latino un brin facho. Sous couvert de radiographier le maintien de l’ordre dans l’enfer des favelas, son Tropa de Elite baladait avec sueur et complaisance un nihilisme archi-patapouf, tout en passant à la moulinette MTV la true story d’un action man au bout du rouleau. Film coup de poing mou du genou, plus vomi que mis en scène, il présageait en tout cas le double programme narratif de ce RoboCop : devenir un homme par la vengeance ; amalgamer à la truelle dézingage de crapules et soubresauts sentimentaux.
Malgré ce CV bien court et bien nauséabond, difficile pourtant de reprocher quoi que ce soit à l’accusé (qui a déjà désavoué le navet et même confessé à Meirelles, autre activiste de l’altermondialisme cinématographique, qu’on ne l’y prendrait plus). Premièrement parce que, jeté du haut de ses 100 millions de dollars de budget dans la grande piscine de l’entertainement, le vérisme gogol du réalisateur fait plouf en deux minutes. Baigné dans un imaginaire sans consistance, le film ressemble à un interminable didacticiel de FPS, contaminé par la réalité augmentée et le tuning 2.0. (rêve qui s’effiloche en pixels, prise d’otage simulée ex nihilo, fusillade noyée dans les visions infrarouges). Cette dématérialisation de l’action, où la moindre baston s’illustre à coups de trajectoires balistiques et de palette 3D, permet au super-flic de rejoindre sans trop d’effort la famille des héros-calculettes du neo-blockbuster. Seulement même en plissant bien les yeux, on a du mal à discerner ici, à travers ce brouillard d’algorithmes qui participait de la maigre réussite de Sherlock Holmes, autre chose qu’un expédient formel (dans Tropa de Elite, on se souvient que l’inanité de la mise en scène y était déjà conjurée par une pulvérisation hystérique du regard).
Mais si l’on ne tiendra à Padilha que partiellement rigueur de l’insignifiance totale de ce RoboFilm, c’est surtout qu’on sent le réalisateur sommé d’exécuter un cahier des charges venu d’en haut, et qui consiste moins en une mise à jour de la franchise (le prologue en Iran, sans intérêt) qu’en un strict rabotage de toutes ses aspérités. Déversant de l’assouplissant ménager partout (zéro goutte de sang, zéro ligne de coke, zéro injure), le film ne nous épargne par ailleurs aucune explication de texte. Et il n’y a rien d’étonnant, à ce titre, qu’au dépend de l’humanoïde taciturne, son créateur à blouse blanche (Gary Oldman) tienne la position centrale de ce blockbuster bavard et castré. Évacuant toute dimension érotique (cette pénétration de la chair et du métal, qui a conféré aux eighties son imaginaire le plus saillant — cf Videodrome et La Mouche, ses cousins indé), Padilha capitule complètement sur le terrain de l’organique. Le nez dans la problématisation besogneuse et strictement scénaristique de son sujet, le film craint constamment qu’on ne comprenne pas, ou « mal », les enjeux de chaque scène, comme s’il s’agissait de faire barrage au béhaviorisme goguenard consacré par le Batave, cet art du tropisme obscène et lubrique.
Car dans ce cinéma condamné à faire jouir (à vos chronos : trouvez plus de dix secondes ennuyeuses chez Verhoeven), le génie tenait précisément à ce que la libido l’emportait toujours sur les prétentions à l’intellect. Le gore y était, certes, éternel retour du concret (au début de l’original, l’inénarrable gag de la démonstration qui tourne mal), mais aussi passerelle vers le cartoon (à la fin, ce gangster à la tronche fondue par l’acide). On pourrait presque s’en tenir là et foutre RoboCop aux oubliettes des remakes petits bras, si seulement la désincarnation froide dont il fait son habillage et son credo ne s’avérait pas symptomatique, au fond, de cette esprit de sérieux risible de tout un pan du blockbuster — actionner grave et faux derche, ni drôle ni bandant, compliquant son indécrottable panoplie de cache-sexes d’un absurde balais dans le cul. Alors, prochaine étape : Starship Troopers par Kassovitz ?