Alors que vaut-elle vraiment, cette nouvelle sensation du cinéma indépendant américain ? Déjà auréolé du Golden Globe du meilleur film, et à peu près certain de ne pas quitter la cérémonie des Oscars les mains vides, Moonlight suit la trajectoire elliptique d’un jeune afro-américain, cerné à trois âges de sa vie et joué, en autant de chapitres, par trois acteurs différents. Plus précisément, le film se focalise sur la façon dont celui-ci va découvrir puis dissimuler aux yeux des autres son homosexualité, sur fond d’Amérique intolérante et d’imaginaire gangsta rap (contexte : les quartiers pauvres de Miami). Un sujet très proche, donc, de celui du Secret de Brokeback Moutain. Pour le reste, on est loin du mélo gracieux d’Ang Lee, et on se demande un peu quelle mouche a pu piquer ceux qui, ici et là, ont annoncé la sortie de Moonlight avec les trompettes réservées aux chefs d’oeuvre, et avec l’argument légèrement disproportionné de tenir là la première fiction antidote de l’ère Trump.
Car le film n’est guère qu’un petit objet soigneux, programmatique et raisonnablement chiant, dissimulant lourdement ses simagrées arty derrière une sobriété de faux modeste. Si le réalisateur donne l’impression de se faufiler sous les radars du film à thèse, il en enfonce malheureusement chaque porte ouverte. À l’exception d’un climax sensuel étourdissant (une étreinte masculine sur la plage, veillée par un clair de lune qui donne au film son titre), on ne conservera rien de cet enfilage de perles édifiantes (la mère toxico, le mentor décédé, l’ancien amant bienveillant), qui décline sa mélodie douce-amère sans éclat ni fausse note, en patientant jusqu’au bout dans l’antichambre de son sujet.
Moonlight déploie ainsi une stratégie assez roublarde, consistant à mimer discrètement ses intentions au lieu de pleinement les mettre en scène (trois fois sur quatre, Jenkins se contente d’ouvrir et de conclure ses séquences en ralentissant ses images sur une envolée de violons). Frustrant, le film semble profiter de son protagoniste effacé, absent, presque démissionnaire, ainsi que de son parti pris romanesque (trois actes autonomes, où l’intéressé glissera d’un masque à un autre), pour glisser sur la surface de tous ses enjeux. Résultat : à force d’être maintenue à l’état d’eau frémissante, cette chronique de l’effacement retient en otage toutes les énergies tragiques de son intrigue, comme si le film craignait lui-même, comme son personnage, de se laisser cerner complètement.
Louise Condemi le retour de Jésus à Diamant vert ahahhaa
me suis arrêté à ‘sur fond d’Amérique intolérante et d’imaginaire gangsta rap (contexte : les quartiers pauvres de Miami).’
Analyse très juste.
Putain, merci Chro, je me sens si seul ici en californie ou il est interdit de critiquer ce film faussement intelligent
L unanimité critique m’ a étonné devant ce film plus opportuniste que sincère. Les grosses ficelles sont sorties dès la première scène et gâchent la poignée de belles idées éparpillés dans un ensemble ttop souvent racoleur.
En débutant votre critique paresseuse par une comparaison avec le Secret de Brokeback Mountain juste parce qu’il est question d’homosexualité et de coming out, vous la discréditez. « Ah ben oui y a un mec qui aime les mecs, c’est le même sujet et Brokeback c’est vachement mieux ! ». Pfuii, impressionnant. Le reste est à l’avenant, qui donne l’impression que quelqu’un qui est passé à côté du film vous l’a raconté et vous a chargé de faire un compte rendu rapide de ses impressions à la sortie.
Je suis complètement d’accord avec faustine. Cette comparaison avec brockeback n’a aucun sens.
La sincérité du film est totale, même si on peut reprocher des cadres pas toujours bien sentis ni rigoureux.
Mais reprocher à ce film de ne pas laisser couler les énergies tragiques, c’est ne rien avoir compris à ce qu’il raconte. C’est vouloir que l’auteur artificialise à outrance un mouvement émotionnel simplissime, qui évite les écueils de la surenchère dramaturgique pour raconter avec une finesse rarement vue un désir, qui se développe sur plusieurs années. Cette précision de la narration est justement ce qui est bouleversant.
Qu’est-ce que ça veut dire « l’antichambre de son sujet » ? Ce film ne traite pas un sujet ! C’est vraiment une expression de prof ou de khâgneux ça. Le film raconte l’histoire d’un personnage, d’un désir, de la fragilité d’un désir homosexuel dans le monde tel qu’il est, et qui n’est pas caricaturé. Le contraire de bande de filles ou de divines par exemple, qui survolent leurs personnages, les font gigoter dans tous les sens, les racontent de l’extérieur.
Je ne comprends pas comment on peut défendre, sur ce blog, des films comme « diamant noir » ou « elle » ou « victoria », qui sont de bons films du dimanche soir, des divertissements gentiment vieillots, gentiment réacs et sans personnalité, et rejeter d’un revers de main blanche un film aussi émouvant et précis, aussi romanesque et rigoureux dans la narration. Même si, je le répète, il y a des maladresses de cadre.
Entre moonlight et american honey, on a deux grands films, puissants et personnels, intelligents et fins, qui racontent quelque chose, sans utiliser les gros sabots de la dramaturgie moisie et fabriquée (les femmes perverses, la vengeance etc.).
L’intérêt de la diversité, de la subjectivité,…Je suis en tout point d’accord avec la critique de Louis Blanchot qui me sidère presque, par sa justesse. D’ailleurs Louis Blanchot exprime avec une belle virtuosité ce que j’ai moi même ressenti. Franchement tout ça pour ça, c’est vrai que c’était frustrant.
Et malheureusement, il n’y a aucune difficulté, complexité, subtilité, …qui fait que l’on pourrait passer « à côté de ce film ».
D’ailleurs je suis en train d’oublier ce film si vite que je ne suis plus capable d’argumenter (je l’avoue) et d’expliquer pourquoi il ne m’a transmis aucun plaisir de cinéma. A part peut être sur le plan de la forme. Et aussi un peu par le lumineux et sage personnage de l’amant tout à la fin. (PS: Divines, pour moi: à la limite du chef d’oeuvre).