Changement de cap pour Takeshi Kitano qui aborde avec son dernier film un genre jusque-là absent de sa filmographie. Comédie sentimentale, L’Eté de Kikujiro met en scène l’histoire d’un petit garçon à la recherche de la mère qu’il n’a pas connue ; il sera aidé dans son périple par un marginal bourru, Kikujiro, alias Kitano.
Beaucoup moins dépressif et torturé que Hana-bi, L’Eté de Kikujiro dévoile l’autre versant de la personnalité de Kitano, celui de Beat Takeshi. Comme le personnage populaire de télévision, Kikujiro est un cabotin, un bouffon aux plaisanteries souvent douteuses. Des plans conçus sur le modèle des photos souvenirs ponctuent régulièrement le film, et lui confèrent une structure en forme de chapitres clos. Leur fantaisie révèle la tonalité enfantine exprimée par l’œuvre, comme si le petit Masao nous offrait des pages de son journal intime. L’acceptation de ce postulat permet alors de « digérer » certains moments du film, que l’on serait tenté de juger indignes du cinéaste. Car le grand défaut de L’Eté de Kikujiro réside dans sa fâcheuse tendance aux bons sentiments. Kitano se révèle aussi maladroit à mettre en scène l’affection qu’à l’exprimer ; à l’image de ce plan où Kikujiro esquisse un geste tendre vers le petit garçon, qui se transforme en accolade virile. A l’échelle du film, cette déficience se traduit par un traitement « à l’américaine » du sentiment. Certaines scènes, comme celle de la plage avec l’ange clochette, apparaissent beaucoup trop démonstratives pour le « roi de l’ellipse ». A cela s’ajoute la musique de Joe Hisaichi, toujours centrée sur le principe de la ritournelle obsédante, mais qui s’engraisse cette fois d’une orchestration pompeuse lors des scènes « mélo ».
Heureusement, la recherche de la mère apparaît très tôt comme un prétexte, le point de départ d’une autre histoire. Le road movie délirant qui fait s’enchaîner les gags selon un tempo effréné, permet à Kitano de retrouver toute sa verve. Entraînés par Kikujiro, tous les personnages s’abandonnent au jeu, oubliant le sens des conventions pour l’unique plaisir de l’amusement. L’Eté de Kikujiro peut alors se concevoir comme un simple alibi, l’occasion de retrouver l’animation des cours de récréation (sauf que chez Kitano le « un, deux, trois soleil » se transforme en « strip soleil » !). Inventive et imprévisible, la comédie élaborée par le cinéaste exprime la liberté d’un auteur qui s’aventure dans les coins les plus reculés de l’absurde.
Malgré ses élans sentimentaux conventionnels, L’Eté de Kikujiro conserve finalement intact le talent humoristique du cinéaste. On s’en contentera pour cette fois.